26 avril au Black Dog (St Paul - Minnesota), découverte d'une grande voix : Mae Simpson. Le blues semble être redevenu la clé-musique pour comprendre l'opacité du monde, en percevoir la continuité comme la dislocation, préférer notre lucidité à nos croyances, homogénéiser nos colères et nos amours. Mae Simpson, d'un effronté regard libre, défie l'écorchure, vibre de blessures de feu et de pansements liquides.
Au même endroit le 27 avril, Erika Hoogeveen, Valerie
Little et Ruth Marshall (toutes membres du Mill City String Quartet)
jouaient avec beaucoup de tempérament, de perspective et d'élégance très
ressentie, le Divertimento en mi bemol majour pour trio, K.563 de W.A.
Mozart, le tout dans une acoustique impeccable et beaucoup d'attention.
Photos : B. Zon
Salut les ours !
Salut les chats !
Salut les bisons !
Salut les oiseaux !
Salut les tortues !
Salut les baleines !
Salut les pingouins !
Doucement les castors !
Enfants d'Espagne
16.4.19
NOTRE-DAME DE PARIS D'OPÉRETTE
ET LE POT AU LAIT
Dans quelques
années, le toit de Notre-Dame sera restauré, reconstruit comme cela a été le
cas maintes fois dans l'histoire et l'émotion présente après l’incendie du 15
avril 2019 ne sera plus qu’un détail de brochures explicatives à peine lues. Certes on a toutes sortes de raisons d'aimer les vieux ouvrages, mais c'est surtout l'apparence dérangée qui hier a ému. L’incendie de la cathédrale est un incendie ravageur comme il
y en a tant, chez les pauvres ou dans les forêts, dans les pays en guerre ou
dans ceux où il ne pleut plus. Mais c’est une autre part de nous-mêmes qui s’est
trouvée mise en jeu, en joue. Celle qui vit avec les restes restaurés des
béquilles de l’histoire : les reliques systémiquement siliconées.
Le commencement des
travaux eut lieu en 1163 et leur achèvement plus de deux siècles plus tard. La
première grande restauration commença en 1844 (année où Marx et Engels se
rencontrent à Paris et où l’amatrice de champignons Bernadette Soubirous naît à
Lourdes) et dura 20 ans sous la direction de l’architecte Eugène Viollet-le-Duc
qui proposa son propre arrangement de l’histoire médiévale avec des tas de
petites choses nouvelles et fantasmées. Une bonne partie de l’histoire de
France fut tatouée à cette époque. Auparavant l’édifice dut subir bien des
assauts du clergé lui-même ou de ses détracteurs. La cathédrale qui émut Victor
Hugo devait assez peu ressembler à celle qui prit feu hier au moment de
l’écriture de son roman. L’incendie ne serait donc qu’une énième péripétie
somme toute assez naturelle pour une construction humaine. Hors, depuis hier, l’imposant
monument n’apparaît plus comme le symbole de quelque attachement à l’histoire
vécue, mais davantage comme celui d’un présent confiscatoire, celui d’une image
mille fois décadrée par autant d'écrans interposés.
On aurait pu
entendre « Grave incendie à Notre-Dame de
Paris, fort heureusement on ne déplore aucune perte humaine, ni morts, ni
blessés ». Mais de vies humaines, il n’est pas question ici, même au
second plan. 15 millions de visiteurs par an n’est pas un compte de vies
humaines (pas plus que les 600 millions de dons collectés pour la restauration en une seule journée). L’émoi sans frontières est à son comble et ne réclame plus, pour
s’exprimer, de sacrifices humains comme ce fut le cas lors de l’attaque des
Twin Towers à New-York par exemple. Et versant monuments, les destructions -
qu’on pourrait estimer tellement plus dramatiques - de sites historiques comme
la cité antique de Palmyre par Daech ou celle des trois Bouddhas de Bâmiyân par
les talibans, n’obtinrent pas une telle unanimité émotionnelle. Il ne s’agit
plus d’un affront contre un super pouvoir, mais de l’image d’une sorte de
pureté virtuelle pixellisée du monde lui-même. À l’heure où la planète est
ravagée comme jamais, où les espèces vivantes disparaissent, les larmes pour un accident de vieilles pierres
pourraient étonner. Notre-Dame de Paris ne périra pas puisqu'elle est
impérissable, du moins cela a-t-il été décidé (un village détruit par le
passage d’une ligne ferroviaire à grande vitesse n'est pas déclaré impérissable
et pourtant les pierres aussi y portent des marques de la vie des hommes). Dans
sa totale abstraction à l’interprétation très spectaculairement mise en scène où les cadres même de l’histoire
n’entrent plus en fonction, s'effacent l’affection et l'ancrage du souvenir
évolutif de ceux qui ont vécu et vivent à proximité, quelles que furent leurs
joies, leurs doutes et leurs souffrances. Plus personne n'y apporte de bétail
et les nouveaux architectes et restaurateurs ne recevront aucune indulgence,
seulement un bon pactole. Notre-Dame de Paris est devenue un objet connecté, un
éventail d’émotions programmées, dictées même, une invention d’un présent à
bail renouvelé, loin, très loin de la vie des êtres.
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