Jean-Pierre Mocky in Grandeur et décadence d’un petit commerce de cinéma de Jean-Luc Godard que l'on aperçoit comme une sorte d'ombre (celle d'un doute ?)
Jean-Pierre Mocky a réalisé 66 longs métrages, 43 téléfilms (à la Hitchcock), quelques courts métrages, joué comme acteur en quelques participations bien pointées (avec Georges Franju - dans un film qui est aussi le sien, Jean-Luc Godard, Jean Cocteau, Michelangelo Antonioni). Le compte n'est sans doute pas bon car d'autres films étaient en train de pellicule ou de papier (on parle d'un film sur les Gilets Jaunes et d'un autre sur la campagne de l'actuel locataire de l'Elysée). Au-delà d'anecdotes plus ou moins sidérantes, de moments de télévision somme toute anecdotiques, il a incarné, au sens le plus direct du terme, une vie de cinéma. Les spécialistes proclamés dissocieront certainement ses films remarquables - ses grands films mêmes - de ses bricolages fauchés. Si les moyens diffèrent d'un film à l'autre et que les trois dernières décennies furent celles d'une redoutable adversité, d'une certaine solitude pourtant très entourée (une impressionnante fidélité des acteurs et actrices dans tous les cas de figure), il s'agit bien d'un même élan, d'une même énergie, d'un même défi avec des traitements un peu différents au vu des moyens. Jean-Pierre Mocky est une nouvelle vague à lui tout seul, qui naît en 1959 avec Les dragueurs (qui fait rentrer l'expression dans le langage courant) pour s'échouer le 8 août 2019. À la différence de l'autre nouvelle vague qui naît en même temps, celle de Mocky est sans rupture avec le cinéma d'avant - ou de sa continuité. Il se montre accueillant avec ses réfugiés (Bourvil, Victor Francen, Charles Vanel, Micheline Presle, Michel Serrault, Élina Labourdette, Francis Blanche, Denise Grey, Jean Poiret, Michel Simon, Michel Galabru, Raymond Rouleau, Jacqueline Maillan, Alexandre Rignault ...) autant qu'avec les nouvelles figures (Véronique Nordey, Charles Aznavour, Jacques Charrier, Michael Lonsdale, Jeanne Moreau, Catherine Deneuve, Carole Laure, Eddy Mitchell, Stéphane Audran, Patricia Barzyk, Philippe Noiret, Eva Darlan, Alberto Sordi, Jacques Dutronc, Dominique Lavanant, Andréa Ferréol, Jean-François Stévenin, Emmanuelle Riva, Anne Deleuze, Catherine Leprince, Bernadette Lafont, Béatrice Dalle, Richard Bohringer, Jane Birkin, Sabine Azéma...). Pourtant chez Mocky, tout explose, rien de pathétique, les acteurs figurent ce qu'ils sont sans se soucier d'intérioriser (mais peut-être est-ce parfois leur petit chagrin : on se souvient de Fernandel et Heinz Rühmann assez paumés en 1965 dans La Bourse ou la Vie), l'incarnation est purement cinématographique (d'une autre façon que chez Robert Bresson, mais in fine toute aussi forte). Certains acteurs et actrices spécifiquement mockystes en portent les repères : Jean-Claude Rémoleux, Marcel Pérès, Jean Abeillé, Sylvie Joly, Antoine Mayor, Marcel Pérès, Dominique Zardi, Roger Legris, Rudy Lenoir, Sophie Moyse, Jacques Legras, Roland Blanche, Olivier Hémon, Eric Dod, nos amis Jac Berrocal ou Violeta Ferrer ou même Noël Roquevert (du cinéma "d'avant").
Si on se délecte de voir et revoir La Cité de l'indicible peur, Les Compagnons de la marguerite, Un drôle de paroissien, Solo, L'Albatros, L'Ibis rouge, Le Témoin, Litan, Y a-t-il un Français dans la salle ?, Le Miraculé, À mort l'arbitre, Bonsoir, Noir comme le souvenir, Grabuge, Le Deal, Le Renard Jaune..., on sera tout autant saisi par l'ascendant cinématographique de n'importe quel film de Jean-Pierre Mocky. Dans cette "espèce d'encyclopédie du genre humain", selon ses propres mots, le chahut est total, les charges dépourvues de cajoleries, l'invention risquée, l'ailleurs implacablement là, le fantastique révélateur, la marge explosive, le décalage agressif, le romantisme sans réplique, les marmites bouillonnantes, les bourgeois à vomir. L'enfance y reprend tous ses droits. Les autorités hypocrites en prennent pour leur grade. "Je ne veux pas avoir une morale, je ne suis pas meilleur que les autres, par conséquent je ne peux pas dire aux gens 'faites ci ou ça', par contre je peux, à travers des fables où un personnage fait ce que moi, je voudrais faire, indiquer des façons d'arranger certaines choses" confiait-il en 1989.
Ce franc-tireur, pour reprendre une expression commode - comme le sont quelques autres gens de cinéma : Jean-Luc Godard (au bout du conte, sorte de marginal de la Nouvelle Vague), Jean-Louis Comolli ou Jacques Rozier, comme l'était Agnès Varda - qui achetait des cinémas (Le Brady, l'Action École) pour projeter ses films et faire la nique aux "emmerdeurs opportunistes" a inventé en toute autonomie un cinéma du déménagement permanent du même endroit, un irrécupérable et salutaire non conformisme.
1 commentaire:
Merci, Jean, pour ce chaleureux hommage à Mocky! J'ai été admirateur depuis qu'une amie m'a amené voir "La machine à découdre" à Paris en 1986--américain, je n'avais jamais entendu parler de lui avant. Quelques années plus tard, installé à NY, j'ai essayai d'intéresser à un ou deux producteurs d'importer des films de Mocky, sans succès, hélas. Il parait que les américains francophiles ne l'ont jamais découvert, à leur perte évidemment.
Enregistrer un commentaire