Photographie : Hélène Collon
Chronique d'un souvenir du temps d'avant. C'était il y a quelques heures, quelques semaines, un milliard d'années et peut-être demain. L'impressionnisme apparut... l'étouffant académisme royal, la figuration défigurée de l'empire boursoufflé renversée par l'impression profonde : l'autre idée du détail, la clé du mouvement, sa mise en lumière.
C'était le 29 février de l'ère précédente, de l'air précédent, à l'Atelier du Plateau, de l'autre côté des Buttes-Chaumont dans le 19e arrondissement parisien, Nicolas Flesch lit, chante, écartèle, associe son récit d'
impressions de la journée du 8 décembre 2018,
Gilets Jaunes Acte IV - plein cœur. Et comme rien ne se fait jamais seul, il a invité ses amis Antonin-Trí Hoang (clarinettes, saxophone, clavier, chant), Ève Risser (piano, clavier, chant), Jeanne Susin (clavier, chant, claquettes), Thibault
Perriard (batterie, chant).
Nicolas Flesch raconte une journée au milieu d'hommes et de femmes de la vie. "Les faits rien que les faits" sont ici, bien loin des torsions comprimées de l'appareil médiatique, autant de clés du mouvement, de ses racines lointaines et historiques, de ses bourgeons immédiats et futurs, qui se mettent à penser si fort et l'inerte se met à bouger. L'évidence des solitudes d'un monde agonisant fait parler le chaos désirable pour sensation de la vie à l'état naissant : la poésie soudainement rendue disponible. Ce 8 décembre est un champ de tournesols qui déborde ses 24 heures et autant de frontières en avant et en arrière. Le mystère de la rue y revêt son effet de réalité. Ses fièvres de cheval. On y gagne des forces pour vaincre ce qui nous épouvante si
cruellement. Un champ de gilets jaunes, couleur tellement cherchée ici et ailleurs*, pour habiter enfin ce qui nous habite, nous remettre en question, en jeu, ouvrir la voie de l'
impression des coups d'épaules, des coudées pôles
. La fête des esprits.
La musique des camarades de Nicolas Flesch - Antonin-Trí Hoang, Ève Risser, Jeanne Susin, Thibault
Perriard - est épatamment libre, libre musique libre, débarrassée de ses esthètes commissaires politiques, libre de l'explosion des formes et déformes, libre de son effervescence, de la confection insolite de malins collages, libre de la meilleure façon de garder la forme et d'en créer autant que souhaité, libre de sa danse. Musique enlacée qui grimpe aux grilles le moment venu, dans le jeu permanent de ses déplacements. S'y glissent en ombres portées ou à plein chœurs, Brigitte Fontaine & Areski, Robert Wyatt, dans une puissante mémoire de
folk songs, comparable à celle qui, par la simple vue d'un gilet jaune, indique les variations vibrantes, ce qu'est un corps véritable. Chercher à vivre et vivre à chercher... L'orchestre s'envole de ce qui nous déménage.
L'énumération des lieux, association du vécu et du perçu, rassemble l'essentiel morcelé, on se trouve projeté dans l'image, on salue, on est partie prenante de ces mouvements, des ronds-points de cet éclatant témoignage, de cette merveilleuse instabilité, perdant, enfin, le statut de spectateur. L'
impression est la situation. Nos voix avant tout dans le temps premier.
Appeau à fleur d'appel, peinture de plein air,
Gilets Jaunes Acte IV - Plein Cœur est un récit du temps pré viral, un récit d'énergie pour un demain
impressionniste de tous les maintenant, qui saura où trouver la bonne couleur après que l'autre eut disparu.
* À lire sur le Glob 5 décembre 2018 : Jaune et encore