À Minneapolis, lundi soir, George Floyd, à terre, menotté pour un délit
mineur, et tué lundi soir par un policier assisté de deux collègues pendant
qu'un troisième tient à distance les passants témoins du crime. Avant de mourir, on l'entend dire "je ne peux plus respirer". Quand et comment arrêterons-nous ici et ailleurs, cet infernal mouvement qui semble sans fin ?
Une
fois encore, on entend, à propos des manifestations de Minneapolis les jours et nuits suivants, suite à ce meurtre d'homme noir, cette "bienpensance" qui
voudrait séparer les "bons manifestants" des "mauvais", alors qu'elle est
face à l'explosion d'une colère qui porte le poids de l'insistante
injustice séculaire, le poids d'une oppression si étouffante qu'on ne
peut plus respirer.
Vidéo témoin ici.
Photographie : Kerem Yucel/AFP/Courrier International
Salut les ours !
Salut les chats !
Salut les bisons !
Salut les oiseaux !
Salut les tortues !
Salut les baleines !
Salut les pingouins !
Doucement les castors !
Enfants d'Espagne
28.5.20
11.5.20
LE NAUFRAGÉ DU CAMEMBERT
Le 11 mai, on nous le serine depuis des jours et des jours, « c’est le grand jour ». Pas un jour sans un « J moins 5 », « J moins 4 », « J moins 3 », éructé par les postillonneurs de l’information. Ils préviennent en faisant les gros yeux « que attention il ne faut pas prendre ce 11 mai tout à fait pour le grand jour » puis avec ce faux air complice salement sympa « que ça l’est tout de même quand même ». Une crapule cravatée assure même qu’il s’agit « d’une bouffée d’oxygène pour l’économie ». Confirmation qu’on n’a pas changé de monde, c’est toujours l’économie qui a besoin d’oxygène, pas les êtres. Le 11 mai ? De quel égrotant esprit est sortie cette date ? De quelle frime ? On l’oublie presque. Alors sur l’écran plat devenu notre seule ligne d’horizon, on s’excite, on prévoit des apéros, des fêtes. Mais que fêter le 11 mai ? Les milliers de morts victimes de l’ahurissant appauvrissement des systèmes de santé ? La reprise pour un monde d’après taillé dans les recettes du monde d’avant mais en pire (et qu’en plus il faudrait faire un effort pour y parvenir) ? La tranquille infantilisation, le doux abêtissement d’un grand camp de vacances très contrôlé où pour passer le temps on se lance des « défis », oh pas des défis pour envoyer un tigre dans la cour de l’Elysée ou élaborer la plus belle barricade, non, des petits machins narcissiques, au mieux nostalgiques ? L’assurance de moins de plaisir, plus de flics ? L’aplatissement de toute créativité à la seule taille d’un écran ? Les chagrins qui ne peuvent plus être partagés ? L’oubli du reste du monde, de ses violences, de ses douleurs ? La parade indécente des médicastres de la politique, des élus électoralistes et leurs interminables et si morbides laïus assortis de plans au mieux cafouilleurs sinon despotiques ?
De ces crâneurs et leurs impayables
porte-paroles, il existe un champion : le régent. Et pour faire son
intelligent, le 6 mai, il s’adressait au "monde de la culture" qui, paraît-il, attendait
ce moment avec impatience. On redoutait tout de même l’ennui des plates
interventions robotiques dont il est coutumier et on ne fut pas déçu. Ce fut un
grand show fascinant à force de recourir aux plus grossières ficelles de
l’artifice. Un équivalent théâtral d’une représentation de Florence
Foster Jenkins privée de ses charmes amateurs. Panoplie d’automate au
garage, attention on est dans le monde « culturel », allure faussement
cool, ton platement copain, godichonnes gesticulations. À la droite de cet
auto-fantasmé petit père de la nation, le ministre de la culture, dernier
modèle avant les soldes, dans un rôle de stagiaire secrétaire empoté qui prend
des notes, coi devant celui qui lui a chapardé
les miettes de son rôle. Tout cela aurait pu faire un ridicule film muet, mais voilà c’est un
parlant et le texte est à la hauteur du reste. Voulant peut-être faire dans la
métaphore post maoïste – ça eut fait chic devant des intellectuels - le régent fait
une sortie de route en évoquant (sans prendre la mesure de l’involontaire accident)
Julius Evola, philosophe fasciste, auteur de Chevaucher le tigre, missel d’une nouvelle pensée d’extrême droite.
« On rentre dans une période où on doit
en quelque sorte enfourcher le tigre, et donc le domestiquer. Il ne va pas
disparaître le tigre, il sera là. Et la peur sera là dans la société. Le seul
moyen que le tigre ne nous dévore pas, c’est de l’enfourcher. » Dans les
années 30, Evola invitait Mussolini à transformer l'Italie en « nation de guerriers ». Invitation à traverser la rue à dos de
tigre pour rejoindre « ces gaulois
réfractaires » « qui ne sont
rien » ? Intéressant d’imaginer le tutoriel de notre Clémenceau
d’opérette monté sur l’animal réel, mais le régent n’a même pas Louis Rapière
comme beau-frère pour se parfumer à la dynamite. Pensait-il peut-être à un
modèle de félin en papier, papier dont on fera un jour les masques manquants,
jugées inutiles puis obligatoires ?
Autre grand moment, c’est la vague citation de
Simon Leys citant G.K. Chesterton citant
Robinson Crusoe de Daniel Defoe. Ça en fait des rues à traverser pour parvenir
au naufragé. Feignant une inspiration soudaine, les mains derrière la nuque, le
régent lance un « Quand
Robinson part, il ne part pas avec des idées de poésie. Il va dans la cale
chercher ce qui lui permet de survivre. Du fromage. Du jambon. Des trucs
concrets. » Des trucs concrets, pas de la poésie, vous avez compris !
Sauf que la citation de Leys est celle-ci : « Ainsi, pour Chesterton, l'un des plus grands poèmes jamais écrits se
trouve dans Robinson Crusoé : cette liste de toutes les choses que
Robinson réussit à sauver du naufrage de son navire: "deux fusils, une
hache, trois sabres, une scie, trois fromages de Hollande, cinq pièces de
viande de chèvre séchée..." La poésie
est notre lien vital avec le monde extérieur, la ligne de sécurité dont dépend notre
survie même et, en certaines circonstances, le dernier rempart de notre santé
mentale. » . Bon dans la chèvre tout est bon, même le cochon. À
condition qu’il ne soit pas trop vieux car le régent « pense en particulier
aux créateurs de moins de 30 ans ».
Au milieu de ces impressionnantes considérations
philosophiques, il y eut quelques promesses concrètes, telle celle sur l’année
blanche des titulaires du régime de l’intermittence et que les droits « soient
prolongés d'une année au-delà des six mois où leur activité aura été impossible
ou très dégradée. » soit jusqu'à fin août 2021, et « l'exonération
des cotisations pour quatre mois. ». Deux mesures minimales qui restent
fort imprécises selon les spécialistes - et auraient dû être prises dès le 14
mars et faire l’objet d’un simple communiqué, pas d’un triomphalisme napoléonien.
Nota
bene : il y a des artistes et techniciens titulaires du régime de l’intermittence
du spectacle. Leur métier n’est pas d’être « intermittent » comme
communément admis (parfois, sans prendre gare, par eux-mêmes) comme celui des
artisans ou des ouvriers n’est pas celui d’être « assuré social ». Le
langage mérite ses précautions. [1]
Mais
de toutes les façons, ajoute le régent goguenard, ces mesures n’auront peut-être
« même pas besoin d’être appliquées » puisque grâce à de nouvelles
activités financées par l’état on va « réinventer d'autres formes de
colonies de vacances apprenantes et culturelles. ». Et voilà la nouvelle « utopie »
qu’on va « réaliser ensemble » : l’art à l’école, une idée bien
neuve. La tarte à la crème de la « réinvention », mot brandi à tout
bout de champ pour dire qu’on ne sait pas trop quoi faire ou pour habiller de
petites réformes bouffe.
C’est insultant pour celles et ceux qui apprécient
depuis longtemps de confronter leur expression aux écoliers, aux prisonniers, aux
malades, aux vieillards. C’est également insultant pour les autres qui pensent que
ni la rage, ni l’insoumission, ni l’amour n’ont de mode d’emploi à dicter. Insultant aussi
quant on a ni envie, ni disposition, ni connaissance, pour que le champ de sa pratique et sa vision soit déplacé –
réduit - de force ? Insultant encore pour les enseignants et enseignantes
qui consacrent leur vie à ces tâches. Cela fait déjà un moment que l’on nous
bassine avec « L’action culturelle » au point de la transformer en « animation
culturelle » puis en animation tout court, comme devant les rayons de
supermarchés ou des épiceries de luxe.
Alors certes, collaboration involontaire, l’emportement des « réseaux
sociaux » a prêté le flanc en devançant l’appel « joyeuses colonies
de vacances ». Quelle imagination de fertile déflagration faut-il pour
imaginer (et le régent en a encore fait proposition) « un concert sans public » ?
Pourquoi pas un concert sans musique ? Tiens c’est une idée ! Soyons
modernes, entreprenants, il reste encore tant à détruire.
Le fromage coule chez notre naufragé de salon
navigant depuis trop longtemps dans les eaux usées du langage. Dans les hôpitaux
les gens meurent et le voilà, sans honte, qui fait l’intéressant devant les
artistes. Artistes qu’il imagine représenter le monde « culturel » en
négligeant d’oubli cruel – le régent a ses valeurs - une part fort conséquente
de ce monde : les non « intermittents », les accompagnateurs,
les travailleurs de l’ombre et bien d’autres encore sans qui aucune lumière ne
peut prendre éclat. La veille le régent faisait le zouave engoncé, masqué et démasqué,
devant des enfants d’une école pas très fan de ses blagues et conseils faites-ce-que-je-dis-pas-ce-que-je-fais.
Le 11 mai est une date de "libération" fabriquée par le régent-comédien,
le même qui le 6 mars prévenait que « si
on prend des mesures qui sont très contraignantes, ce n'est pas tenable dans la
durée » avant de se rendre au théâtre en prétextant que « malgré le coronavirus, la vie continuait. » Le 11 mai donc, l’épidémie
est invitée à rejoindre toute autre épidémie visant corps ou esprits pour un
retour à la misère « normale » empirée de nouvelles privations, nouveaux
abattements loin de logiques curatives, toujours un peu plus totalitaires. Et là encore, défenses et
bon soins libérateurs seront nécessaires. Puissent la force de nos expressions,
de nos enfances, refuser toute
domesticité et aider à mettre fin à un cauchemar où les apprentyrans disputent
la vedette aux virus assassins.
[1] Sans vouloir ternir
l’enthousiasme voulant que ces mesures aient été obtenues grâce à une pétition
réunissant 200 000 signatures assimilée à une « lutte », il est
probable que ce soit davantage l’adresse directe de quelques stars au régent
qui les ait « permises » .
.
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Musica
10.5.20
VERS LE SOUFFLE CONTINU
Le Souffle Continu (20-22 rue Gerbier 75011 Paris) réouvre ses portes
lundi. Comme il est important de soutenir les libraires, il est capital
de soutenir les disquaires, non seulement par acte encourageant, par
prêt de main forte, mais parce que c'est vital pour la musique afin
qu'on ne devienne pas des oies gavées de streaming jusqu'à extinction
des sources. Et la période qui vient, plutôt que nous précipiter dans le
dataréacteur-datadestructeur-databroyeur, peut nous amener à
reconsidérer la place "physique" et par là même l'esprit tout entier.
Donc, n'hésitez pas à vous rendre au Souffle Continu ou chez vos
disquaires proches et, si cela vous est difficile, de leur commander ce
que vous souhaitez qu'ils vous feront un plaisir de vous expédier. Il
est temps de nous reprendre afin que, de toute évidence, le souffle
continue.
Photo : B. Zon
Photo : B. Zon
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les travailleurs du disque,
Musica
1.5.20
FAITS DU TRAVAIL (VIRAL)
Scandaleuse, la radio scandaleuse ment
scandaleusement. Qu’elle s’appelle Info ou Inter, elle répète déjà depuis la
veille que le 1er mai
célèbre « la fête du travail ». Le petit régent lui-même a repris
cette terminologie. C'est bien pratique et insultant.
Doit-on une fois
encore faire le rappel historique de l’origine du 1er mai, fête des
travailleurs ? Rappeler qu’à l’issue de la grande grève de Chicago à
l'usine McCormick le 1er mai 1886, suivie nationalement par 340 000 ouvriers,
alors qu’August Spies, militant anarchiste, termine son discours avant la dispersion,
la police charge et tue au moins deux ouvriers de McCormick [1] en en blessant plus d'une dizaine d'autres ;
évoquer le meeting de Haymarket Square organisé trois jours plus
tard par Spies et deux autres
anarchistes, Albert Parsons et Samuel Fielden, toujours à Chicago, lorsqu’au moment de la dispersion, la police charge et qu’explose une mystérieuse bombe tuant un policier puis sept autres dans le chaos suivant [2] ; retracer l’arrestation de huit
anarchistes tenus responsables sans la moindre preuve : Spies, Parsons,
Fielden ainsi que George Engel, Adolph Fischer, Louis Lingg, Michael Schwab, Oscar
Neebe, suivie de leur procès parce qu'ils luttaient
pour la journée de huit heures, puis leur condamnation à mort [3]
au motif énoncé – ordonné - par le procureur Julius Grinnel « Messieurs
du jury : condamnez ces hommes, faites d'eux un exemple, faites-les pendre
et vous sauverez nos institutions et notre société » ; et souligner enfin qu’en 1889, à
Paris, la IIe internationale choisit le 1er mai comme fête des
travailleurs pour obtenir la réduction horaire de la journée de travail, en hommage aux
huit de Haymarket.
Non le 1er
mai, n’en déplaise aux nostalgiques maréchalistes [4],
aux sanglants productivistes et aux apprentis esclavagistes, n’est pas la fête
du travail, mais son contraire, la fête des travailleurs pour la diminution du
temps de travail et le retour à la vie. Et c’est bien du retour à la vie [5] qu’il
s’agit aujourd’hui plutôt que du retour au travail comme seule aptitude
humaine.
Là encore,
l’impressionnante confiscation du langage redétermine par à-coups successifs et
incessants les contours de nos vies, pour enlever nos vies elles-mêmes… comme
un virus.
[1] Selon les sources, les chiffres varient - on trouve les chiffres des ouvriers de MacCormick tués de 1 à 3 - d'autres morts sont parfois évoqués.
[2] Selon les sources : côté manifestants entre 4 et 7 morts et jusqu'à une centaine de blessés.
[4] Le 24 avril 1941, le maréchal Philippe Pétain par la loi Belin renomme le 1er mai « fête du Travail et de la Concorde sociale » mettant en place la devise « Travail, Famille, Patrie » interdisant le vocable « la fête des travailleurs » au motif qu’il fut porteur de lutte des classes.
[5] Différente de la télévie
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