Enfants d'Espagne

Enfants d'Espagne

12.11.10

FANTASTIC MERLINS WITH KID DAKOTA
ST BRIEUC
PAR CATTANEO
9 novembre

Après Fat Kid Wednesdays et Next de François Corneloup, c'est au tour de Fantastic Merlins avec Kid Dakota de figurer parmi les invités Hope Street de Marie Lostys et de la Passerelle de St Brieuc, plaisir de retrouver Marie Lostys, autre personne qui compte dans l'histoire de la musique en Bretagne, plaisir aussi de retourner en cet endroit chaleureux, plaisir toujours de partager avec le public breton, plaisir de rencontrer Alban et Gilles disquaires exemplaires de la bien nommée boutique "Le Disquaire", plaisir enfin de revoir notre aventurier dessinateur Cattaneo qui nous raconte sa journée.



Fantastic Merlins with Kid Dakota à St Brieuc
Texte et dessins : Cattaneo

Cent soixante-sept kilomètres.
C’est la distance qu’il m’a fallu parcourir pour assister au concert que les Fantastic Merlins donnaient à La Passerelle de Saint-Brieuc mardi dernier.
Evidemment, cela peut sembler déraisonnable, et d’ailleurs ça l’est, indubitablement. Mais un tel parcours, qui consiste à traverser la Bretagne de part en part, du sud du Morbihan au nord des Côtes d’Armor, n’est pas sans présenter quelques agréments, comme celui d’assister aux forces tumultueuses que le ciel de novembre peut déchaîner par exemple, particulièrement spectaculaires sur le massif armoricain entre Pontivy et Loudéac, qui est traversé par une route de laquelle on a une vue formidable sur des kilomètres à la ronde et où toute activité météorologique revêt en cette saison un caractère brutal et merveilleux. Si vous n’avez jamais vu ça, vous devriez venir par chez nous un de ces jours, car comme l’affirme le professeur Tournesol dans un album des aventures de Tintin que je vous laisse le soin de retrouver : « Quand on a contemplé pareil spectacle, eh bien on peut mourir ».
Pour ma part, j’avais plutôt envie d’écouter en live la musique des Merlins, en sus de retrouver mon camarade Jean Rochard et la sémillante Z. Ulma, aussi poursuivis-je mon périple et déboulai à Saint-Brieuc à l’heure du goûter, où je fus accueilli par un Jean en pleine forme qui me présenta Marie Lostys, directrice de la communication de la Passerelle et figure historique de la musique en Bretagne. Incidemment, tandis qu’elle nous guidait dans les coulisses du théâtre pour nous mener jusqu’à la scène où les musiciens procédaient aux réglages du son, celle-ci nous entretint de la fois où elle refit le monde avec Fred Chichin, pendant la demi-heure que dura une pause-cigarette impromptue. Tout aussi incidemment, Jean évoqua l’augmentation récente du prix du tabac qui affectait les classes les plus pauvres, celles-là même ajoutai-je, qui comptaient dans leurs rangs la proportion la plus grande de personnes obèses, moyennant quoi la demi-heure passée avec le grand Fred semblait n’avoir pas suffi à refaire le monde correctement. Ma remarque sembla la déprimer, et nous n’eûmes plus l’occasion de nous parler de toute la soirée.
Il n’empêche qu’après avoir assisté tranquillement à la répétition du groupe, j’allai souper à Saint-Laurent-sur-Mer en compagnie de mes amis Liliane et Jean-Pierre, chez qui je dégustai d’excellentes noix de Saint-Jacques, avant de retourner à la salle distante de quelques kilomètres, où le concert ne tarda pas à débuter.
Je ne connaissais de la musique des Merlins que celle enregistrée avec Kid Dakota pour le How the lights gets in publié chez nato, aussi fus-je surpris par la première partie de leur prestation, dont l’enchaînement des instrumentaux aux couleurs sombres me fit comprendre plus précisément qu’à l’écoute de leur disque l’ambition qui les anime.
Leur projet consistant à mêler musique de chambre et jazz, chanson et musique improvisée, associe pour ce faire le saxophone et le violoncelle en une partition contrapuntique qui joue le jeu du bloc contre bloc. Aucune prise de solo véritable ni d’un côté ni de l’autre : Nathan Hanson et Daniel Levin sont simultanément en avant, jouent ensemble mais en opposition, et c’est un combat auquel on assiste sur la scène, un truc dur, qui file les jetons. La musique n’est pas joyeuse mais déborde malgré tout d’une énergie féroce, ce qui crée par un juste retour des choses comme un climat d’angoisse qui nous fascine. Les interventions du violoncelle de Levin ont le tranchant du couteau à l’heure du crime, et les risques qu’il prend à contrer le saxophone, à imposer son existence, à affirmer sa liberté sont d’autant plus impressionnants que ce n’est pas précisément l’instrument qu’on attendrait dans ce rôle-là, et que par surcroît j’apprendrai quelques heures plus tard que c’est la première fois qu’il joue avec le reste du groupe, leur unique répétition datant de l’après-midi-même !
Ce à quoi assistent les spectateurs fait penser à la banquise en état de dislocation ; or il y a une unité qui sous-tend ce morcellement, et elle est assurée par le batteur impérial Peter Hennig et le contrebassiste rigolard Brian Roessler, ces deux-là ne cessant de se regarder jouer en souriant, en opposition complète avec la lutte que se livrent les deux autres. La trame rythmique qu’ils mettent en place permet le débordement de ce magma cubiste d’où sourd une mélancolie lancinante et parfois rageuse, et que ponctuent les plaintes du violoncelle et du saxophone.
Entre L’Affaire Charles Dexter Ward de Howard Philip Lovecraft et Lark’s Tongues in Aspic de King Crimson, il y a les Fantastic Merlins qui donnent parfois l’impression de traduire en musique ce que leur chuchotent les entités vivant dans la cave de leur manoir hanté.
Et si les gens applaudissent, ils sont sous le choc, c’est perceptible.
Heureusement pour eux, Darren Jackson alias Kid Dakota débarque, guitare en bandoulière, pour entonner les chansons de Leonard Cohen qui vont détendre l’atmosphère. Force est de constater que le petit saligaud sait y faire, dégoulinant d’aura BVBG. (non ce n’est pas un protocole de chimiothérapie, mais l’acronyme de Belle Voix, Belle Gueule) Posant sa voix suave sur de simples arpèges, il fait merveille sur tous les titres qu’il chante, se payant le luxe de commencer par une composition personnelle, et même si chacun a ses préférés ("Sung in Vain" me paraissant personnellement indépassable), le public est sous le charme, comme en témoignent les applaudissements plus nourris à chaque nouvelle chanson, ces dernières les éloignant de l’angoisse éprouvée tout à l’heure. De plus, une unité nouvelle s’est faite jour dans le groupe : le violoncelle détermine la tonalité mélodique tandis que le saxophone, légèrement en retrait, l’enjolive par des petites phrases précises, primesautières et pour tout dire charmantes, qui contrastent singulièrement avec l’approche de la première partie, et contribuent à mon avis à ce que les plus rétifs des spectateurs se réconcilient définitivement avec le groupe. C’est d’autant plus vrai que cette partie de leur récital constituant les deux tiers du concert, elle permet aux auditeurs de se familiariser plus sereinement avec leur musique.
D’ailleurs, remontant les travées à la fin du spectacle, j’entendrai certaines personnes s’échanger leurs impressions de la manière suivante : « Au début, j’avais peur que ce soit trop hermétique ; mais finalement j’ai compris le truc, et après j’ai trouvé ça super » Résultat : trois rappels sur scène, ce qui est tout de même assez rare.
En somme, pour une première date de tournée, avec un musicien qui n’a jamais joué avec eux, et devant un public qui ne s’attendait pas à assister à une telle chose, les gars s’en sont sortis à merveille.
Je n’en dirai pas autant me concernant, car quand il s’est agi de retourner dans mes pénates le lendemain, j’eus l’idée de baguenauder dans la pampa costarmoricaine, histoire de prendre mon temps et ne pas trop penser à cette parenthèse (la route, la musique, les rencontres) qui allait se refermer ; or il faut savoir que dans ces contrées on se méfie parfois de ceux qui viennent d’ailleurs, ce que j’avais oublié. Ainsi, j’eus maille à partir avec l’acariâtre boulangère d’un improbable patelin, qui refusa de me vendre la moitié d’une baguette Grand Siècle, sous prétexte que « celles-là, on les vend entières ». Ce qui peut vous paraître un détail eut des conséquences inouïes sur mon équilibre alimentaire ainsi que sur mon moral, malgré la sérénité qui m’habitait depuis que j’avais traversé un hameau désirable et secret nommé Toulfol, neuf habitants l’hiver et onze l’été.
Gast ! Pour me venger, je lui aurais bien fait écouter un disque des Fantastic Merlins, tiens, mais intégralement, alors ! Parce que ceux-là « on les écoute en entier ».
Mais la colère étant mauvaise conseillère, je repris ma route en direction de Saint-Nazaire où j’avais à faire en fin de journée; là-bas, comme dans nombre de ports en Bretagne, on a toujours su accueillir les étrangers.

Stéphane Cattaneo

Merci à Marie Lostys, Alex Broutard, Stéphanie Cureau, Annie Le Toullec, Pascal Le Montréer et toute l'équipe de La Passerelle exemplaire de gentillesse et de compétence.


Tournée de novembre 2010 de Fantastic Merlins with Kid Dakota

1 commentaire:

Anonyme a dit…

On attend la suite