Sur la couverture de
Les 1000 CD des disquaires de la Fnac, un superhéros au teint livide-verdâtre et au sourire crispé impose son agitation culturelle dans les rues d'une très grande ville, dispensant, du creux de la main, sa lumière blafarde et ses disques sans noms. Le petit peuple, enfin aiguillé est heureux, il ne demande que ça, il n'a pas le temps de choisir par lui même. Ca sert à ça les superhéros, même d'allures crevardes. Il faut bien que les grands magasins, plus trop fréquentés par les Marx Brothers, guident leurs clients comme la République guide ses ouailles avec des livres d'histoire sur mesure (La commune pas le temps, la révolution espagnole aux oubliettes, le 17 octobre 1961 à la Seine...).
Bien souvent ces listes
les 100 CD du siècle,
les 100 plus grands chanteurs, les
100 indispensables du Jazz ou ces
1000 CD des disquaires de la Fnac et les cohortes de primes à l'assurance sous forme de petits stickers-récompense, légions d'honneur en chocolat ("
bon chien, tu as bien travaillé !") : 4 fortés, un Choc, 4 sapins, tendent à déresponsabiliser l'auditeur en lui confisquant ses choix propres. On aimerait bien un tel ouvrage s'il ouvrait sur d'infinies possibilités, offrait d'autres alternatives que celles que l'on voit dans toutes les listes en offrant des encouragements - franchement
Kind of Blue de Miles Davis (premier disque de Jazz et 33ème position du classement général de la Fnac) est une réussite, mais sa surexploitation, surexposition file parfois la nausée - indiquait les liens, accompagnait le sens critique, ce que savent souvent TRÈS BIEN faire les disquaires. Le texte de présentation annonce : "
Sélectionner les 1000 meilleurs albums - classés par ordre - de tous les temps (rires non fournis)
et constituer ainsi une discothèque quasi-idéale, telle est la mission que ce sont fixés les disquaires de la Fnac ! Parmi les grands gagnants de ce grand plébiscite : Nirvana, Serge Gainsbourg, Radiohead, Portishead et bien d'autres encore." Mais les disquaires ne sont pour pas grand chose dans cet ouvrage et certainement pour rien dans cette "mission" (qui ne compte ni musique classique, ni musique contemporaine de tous les temps) si ce n'est qu'ils ont eu - au mieux - à cocher des noms déjà choisis par un comité directeur. La Fnac méprise son personnel et l'utilise comme bouclier humain.
Aucun disquaire n'aurait pu écrire les affligeants textes accompagnant ce guide nocif. Au mieux, ces petits poulets sont tissus de banalités horriblement réductrices (
dangereusement réductrices). Au pire un enfilage d'âneries. Un exemple parmi d'autres : Charlie Parker figure deux fois dans la sélection (une fois de façon bien inélégante par une compilation-recyclage de domaine public à la pochette hideuse, même pas par une production Norman Granz ou
Jazz at Massey Hall). On apprend qu'il était surnommé le Bird car "
il mangeait du poulet en quantités astronomiques". Ou comment un accident de la route survenu à un gentil volatile est transformé en délire gargantuesque. Bon dieu mais c'est bien sûr, c'est l'abus de galliforme qui a eu raison de Charlie Parker (on espère que le message passera au Ministère de l'Intérieur) à tel point qu'il en devient ici, "
trompettiste".
"Chéri rejoue-moi z'en !" Parker, tellement accroc du poulet qu'il se mit à la trompette, instrument que lui dispute John Coltrane pour
Love Supreme dans le même livre (vendu 19€ et aussi nuisible que
Bruits" de Jacques Attali). Une trouvaille non ?
L'ancienne Fédération nationale d'achats des cadres (créée en 1954 et forte de 78 magasins), finira bien par perdre des plumes à force de voler dans les nôtres. Amateurs de musique, unissez-vous et chassez avec du gros sel tout ceux qui voudraient la transformer en un sinistre poulailler clos d'où elle ne verrait plus le jour. Nous n'aimons le poulet, ni en trompette, ni en batterie.