Loin du réel, l'élection présidentielle invente un pays sans marges et plein de frontières d'où l'on exclue les non naturalisés, les sans-droits, les non inscrits sur les listes électorales, les abstentionnistes, et même ceux qui concèdent néanmoins au rite en votant blanc ou nul. Les votants exprimés sont entre eux, s'excitent pour un rien, dansent un coup à droite sur Johnny Hallyday, un coup à gauche sur Yannick Noah, font un petit coucou à la voiture balai conduite par Jean-Luc Mélenchon qui ne fait que passer, pleurent avec la dernière livraison de roses Interflora, crient des "on a gagné" coupés du monde, chantent des "on lâche rien" avant de se jeter dans le vide discipliné. Leurs champions drapés dans leur fausse majorité s'autorisent tout, ils nomment les chefs de police, les juges suprêmes et toutes sortes de hauts-parleurs à faire mal. Leurs mots : "pouvoir d'achat", "croissance", "sécurité", une bricole sur l'éducation de temps en temps pour rassurer les parents, c'est à peu près tout.
Aujourd'hui dans un esprit de "réconciliation" (qui a dit "classe ! " ?) en souvenir de la capitulation de l'Allemagne le 8 mai 1945, l'ex caïd a invité le nouveau contremaître, exerçant ce que les grossiers appellent le "devoir de mémoire". La mémoire est comme les ordures, elle a meilleure mine avec le tri sélectif, larme en croco Louis Vuiton sur la tombe du soldat inconnu.
Ce 8 mai 2012, les habitants des marges ont marché de Barbès au centre ville, ou bien à partir de Setif et Guelma jusqu'à Aujourd'hui. Setif et Guelma où le jour même de sa "libération" le 8 mai 1945, l'état français réprimait à grande échelle dans le sang des manifestations algériennes ; Aujourd'hui, marqué sans cesse par les brutalités policières, la politique impériale, la négation des pauvres, des autres.
Pas autant de monde que pour regarder un débat où le nouveau maître se défend de vouloir supprimer les centres de rétention, pas autant que pour danser "À la queue leu leu" derrière Pierre Bergé dimanche soir, illusion une fois de plus que l'insupportable pourrait partir en vacances, mais des gens, des gens avec des mots et des images, des portraits de Steve Biko, Geronimo, Mandela, Sitting Bull, Louise Michel, Franz Fanon, Patrice Lumumba pour faire écho à ce que l'affiche annonçait "Nous ne comptons pas sur eux, ils ne pourront plus faire sans nous".
Photo : B. Zon
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