Enfants d'Espagne

Enfants d'Espagne

20.11.12

LES AILES DE NOTRE-DAME-DES-LANDES


Prélude

Il existe un beau dessin de Franquin où un petit village et ses environs sont soudain menacés par des pelleteuses qui ressemblent à des monstres. Le dessin date déjà (années 70) mais a si souvent parlé, il est maintenant situé à Notre-Dame-des-Landes, au nord de Nantes.

Un Ayraultport qui vient de loin et ne va nulle part

Le projet de nouvel aéroport pour Nantes pour remplacer celui qui existe déjà (qui n'est pas saturé et sert aussi les usines Airbus qui ne se déplaceront pas) est une sorte de serpent d'air qui s'agite depuis l'ère gaullienne des années 60. Le maire de Nantes devenu premier ministre en a fait une affaire personnelle : un Ayraultport coûte que coûte, projet confié (offert) à la société de bâtiment et travaux publics Vinci (chiffre d'affaire 38 milliards d'euros - troisième groupe mondial de la construction et responsable de l'actuel désastre de Khimki (1)). Et peu importe les économies imposées à tous (ou presque, le PDG de Vinci qui ne s'appelle pas Léonard vit par exemple fort confortablement avec un salaire de près de deux millions d'euros par an sans compter les pourboires), ce projet inutile, dispendieux et ruineux (il n'est qu'à voir ce qui est arrivé aux entreprises du même type en Espagne dans la dernière décennie) écologiquement nuisible et générateur de violence est le haut symbole de la réussite capitaliste du nouveau pouvoir d'accord en tous points avec l'ancien. Pour les naïfs, on ressert le vieil argument qui tourne à vide : "ça créera de l'emploi". Ce n'est pas faux, ça en a créé un. Bernard Hagelsteen préfet de la region Pays de loire et du département de Loire Atlantique de 2007 à 2009 en charge de la mise en route du projet est désormais en poste chez ASF, filiale autoroutière du groupe Vinci (non non ce n'est pas lui qui contrôle les tickets dans la petite guérite !)

Haut de Pologne

Il semblait que la règle des puissants était de ne parler publiquement des affaires intérieures quand on était à l'extérieur qu'en cas d'extrême gravité. Avec le projet d'Aéroport de Notre-Dame-des-Landes, serions-nous dans ce cas ? Vendredi 16 novembre à Varsovie en visite accompagnée de 22 chefs d'entreprises dont les patrons poluants d'Areva, Total et EDF, le Cardinal François IV sortait anormalement, à propos de la manifestation prévue le lendemain à Notre-Dame-des-Landes, de sa réserve présidentielle en annonçant (dans un style très proche de l'ex Empereur Napoléon IV) : "Moi je respecte le droit de manifestation, je euh fais en sorte que tous les recours puissent être euh traités avec une justice indépendante, mais, en même temps euh, il y a aussi euh, la force du droit, euh et euh la primauté euh de la volonté, non seulement de l'État mais aussi des élus, et au-delà même des alternances politiques. Il n' y a pas là aussi de manquement à quelque engagement que ce soit puisque euh lorsque j'ai été interrogé comme candidat pour l'élection présidentielle,  j'ai toujours dit que j'étais favorable à cette euh plateforme aéroportuaire. Donc il y aura une manifestation, j'espère qu'elle se passe bien que euh il y ait euh le respect euh des uns comme des autres et que euh ensuite euh au-delà des procédures qui peuvent encore être engagées, il y ait euh cet investissement qui puisse être fait". Soit 147 mots ("euh" compris) pour dire : "Salut les gogos, les manifs ça va tant que ça ne sert à rien, mais derrière on fait de toutes façons nos petites affaires, on peut même vous faire croire que vous avez voté pour ça !". Le cardinal se pense déjà empereur, son premier ministre et son fort répressif ministre de la police font l'affaire et les trois font l'aéropaire.

César ferme-la !

Où aller le 17 novembre sinon à Notre-Dame-des-Landes. En route ! Sur l'autoroute (groupe Vinci), nous dépassons de nombreux véhicules emportant des CRS. Aïe ! Pourtant on ne les verra pas du week-end, pas du tout, nulle part (même les ULMs survolants le site n'étaient pas de la préfecture comme une mauvaise information l'a laissé croire, on a si peu l'habitude). Les CRS et autres gendarmes mobiles resteront cantonnés probablement dans leurs camps d'Aquarium, de Babaorum, de Laudanum et Petibonum en attendant de futurs méfaits des tueurs de salamandre de feu. Car l'opération militaro-policière déclenchée à Notre-Dame-des-Landes a été sérieusement appelée par les têtes pensantes (oui enfin... bon !) dirigeant ce petit monde de bignolons : "Opération César" ! Comment imaginer accorder quelque crédit que ce soit à des gens qui n'ont jamais lu (ou compris, ce qui est plus plausible encore) un album des aventures d'Astérix et Obélix. Un des tracteurs de la manifestation portera donc le plus simplement du monde un calicot-retour "opération Astérix" !

Solidarité n'est pas un vain mot. 

Arrivés sur les terres de Notre-Dame-des-Landes avec bien des difficultés pour se garer tant il y a de monde (30 à 40 000 personnes), nous sommes immédiatement immergés dans une atmosphère bien différente de celle des trop habituelles manifestations où l'espoir se noie souvent dans les mouchoirs en fin de parcours. Tout a l'air neuf, partagé, tout a l'air beau, tout a l'air d'avoir toujours vécu, d'avoir de l'air. Les gens sourient, se parlent, se taquinent, les enfants parmi nous et nous parmi eux. Les cœurs battent pour une liberté là reconnue, les tambours aussi. Des clowns sortent des fourrés, des petits orchestres s'improvisent, les chiens courent comme des fous, heureux comme jamais. Les vaches rient et les chèvres soufflent un coup ! Tiens ici, des pingouins révoltés ! Le temps qu'il fait n'est pas celui de Louis Philippe, la pluie ne fait pas peur, on saute dans les flaques les bottes les premières, la gadoue réjouit, sol humide non propice aux constructions aéroportuaires. Là un chapiteau, des meubles assemblés devant nous avec des bribes de bois ; une quantité impressionnante de matériaux divers est acheminée par tracteurs dans la forêt pour reconstruire, reprendre, se saisir de la beauté du monde, l'accompagner, construire, ensemble. Les maisons se montent alors que des petits groupes chantent la chanson d'Hamon-Martin "Notre dame des oiseaux de fer", chanson témoin belle comme le temps des cerises sous le regard d'un cheval. Les barricades s'élèvent superbes, témoins de l'élan incroyablement salvateur rappelant qu'elles sont à des moments clés, la plus belle construction de l'homme, barricades de Paris huit fois au moins, de Lyon, de Barlin, de Barcelone, de Notre-Dame-des-Landes. Pas de prix fixé pour la nourriture, crêpes, galettes, thé, soupes. Relais, coup de mains. Plus on est différent, plus on se ressemble. Pas de chefs, seulement des compétences et une organisation étonnante, bourgeonnante, si loin de la sécheresse bureaucratique privée de tout imaginaire de ceux qui (le croient-ils ? le croyons-nous ?) nous dirigent sans aucun sens des directions. Des ruines du monde d'avant s'échappent les évidences que l'on ne perçoit plus , il était temps de parler aux arbres de la forêt de Rohanne, de les laisser nous dire aussi. Chapeau bas à tous les habitants résistants, à tous les zadistes (2) les ayant rejoints depuis longtemps, vivant ci-et-là, dans les arbres. Ensemble ils ont tenu le choc face à la brutalité d'un état qui se vante de privilégier la concertation, mais qui en réalité frappe à tout va, comme il frappe ailleurs les roms, pour impressionner le mouton électeur qui a peur d'une ombre qui n'est même plus la sienne, une ombre qu'on lui dessine sur mesure. "L'Etat sera ferme et il y aura en temps utile, comme le préfet de région l'a rappelé, des évacuations parce que nous devons être déterminés" a dit le 19 novembre le ministre de la police. Il ne sait même plus ce que signifient les mots "ferme", "temps" et "utile", il ne comprend qu'"évacuation" ici comme devant chez lui lorsqu'il chasse les SDF qui ne font pas beau dans le décor et déplaisent à Madame. Il dira sans doute aussi "les fous de la forêts" comme ce fut dit de résistants essentiels en Limousin dans les années 40. La dignité est une lointaine histoire pour l'imbu de pouvoir glissant dans l'abîme d'une mort sans beauté.

Merci et à nous de faire demain

La dignité, oui ! Les habitants membres de l'Acipa et les zadistes, nous l'ont offerte ce 17 novembre pour vivre vraiment, en profondeur. Le chemin, ils l'ont déjà trouvé. La lutte qu'ils ont mené depuis longtemps a permis ce miracle ponctuel, ce poème réel. On a parlé de violence -médiocre médias -, sur place les gens se sont seulement défendus face à la violence insupportable des confiscateurs (imaginons raser pour "utilité publique" les habitations des 40 gouvernants les plus haut placés ou des 40 premières fortunes de France ou des officiers de police qui supervisent les expulsions ou des cadres de chez Vinci  : que diraient-ils ?). Un  des membres fondateurs de l'Acipa, il y a 12 ans, nous a dit avant de partir "ça fait chaud de voir tout ce monde, on y croit, on peut gagner". En un sens (le principal), ils ont déjà gagné. Désormais, c'est aussi à nous de les rejoindre de toutes nos possibilités, ici et ailleurs, à nos postes, dans nos voyages, car demain la lutte sera plus rude encore, pour faire mieux que défaire un inutile aéroport, mais bien établir un champ libre sur le tracé des sources, un champ qui ne s'éparpille pas brusquement, le champ de toutes nos articulations assoiffées de justice immédiate.

(1) La forêt de Khimki est une forêt de bouleaux de 1 000 hectares située dans la banlieue nord de Moscou et menacée par un projet d'autoroute à péage confié à Vinci. Opposants et journalistes ont fait l'objet de graves passages à tabac.
(2) Zadiste, occupant de la ZAD (Zone à défendre)

Site de la Zad
Site de l'Acipa
Blog du collectif de lutte contre l'aéroport de Notre Dame des Landes  

Photos : B. Zon et Z. Ulma

2 commentaires:

Rex a dit…

C'est clair que c'était autre chose que les manifs plan plan sans entrain. Ce mouvement libère quelque chose d'important. Jusqu'où peut-il aller ?

patsy a dit…

loin j'espère contre cette fausse-gauche qui déforme tout. Ce ne sont pas uniquement les squatters qu'ils expulsent, ce sont tous les opposants.