DE DELPHES À AVIGNON PAR TONY HYMAS
Premier hymne delphique - (Athaneus 138 - 28
avant J.C.) – Arrangement : Tony Hymas, dédié à Alan Hacker
Harmoniques, sous-entendus, un mode ancien… ce morceau
est la première pièce connue de musique écrite (138 av. JC). Est-ce la bonne
tonalité ? Le compositeur (la pièce est attribuée à Athenaeus) a-t-il
réellement utilisé une mesure à 5 temps, la crétique, qui reste exceptionnelle
même de nos jours ?
Toute interprétation ne peut être, au mieux, que le
résultat d’une hypothèse, fonction du goût de l’interprète, et comme à cet
instant, nous ne sommes pas équipés d’une cythare, le piano fera l’affaire.
Erik Satie aurait pu connaître cette œuvre (mais elle ne fut découverte qu’en
1893) lorsqu’il utilisa le même mode phrygien dans sa
Première Gymnopédie - (Erik Satie 1866 – 1925) -
écrite en 1888, l’une de ses premières compositions et
peut-être la plus connue. Qu’est-ce qu’une gymnopédie ? Un terme d’origine
spartiate choisi par lui pour suggérer la danse, la grâce, peut-être un
athlétisme languide. Loin de ses contemporains, Chaminade par exemple, la
musique de Satie est presque bidimensionnelle. Mais il nous faut quitter ce
monde d’Arcadie - la lumière du soleil voilé
par une ombre satanique (référence à William Blake) - pour
aborder aux rivages de Winnsboro en Caroline du Sud.
Winnsboro Cottonmill Blues - (Frederic Rzewski né en 1938) -
Le blues du même nom a été interprété par nombre de
chanteurs dont Leadbelly et Pete Seeger. Frederic Rzewski, pianiste américain
virtuose, a réalisé cet arrangement. En réalité, il s’agit de bien plus, c’est
une fantaisie, presque un poème symphonique : le bruit, l’incroyable bruit
des machines, leur arrêt soudain, quelqu’un chantant un blues triste, rejoint
par d’autres voix, une polyphonie de cinq à six voix dans la confusion de
pleurs individuels, des fragments puis un refrain ironique :
Old man Sergeant sitting at his desk - the darned old fool won't give us no
rest
He'd take the nickels of a dead man's eyes - to buy himself a cola and a
pomo pie
I got the blues, I got the blues, I got the Winnsbro Cottonmill Blues
Lordy, Lordy spoolin's hard
you know and I know, I don't have to tell - work for Tom Watson gotta
work like hell
I got the blues, I got
the blues, I got the Winnsbro Cottonmill Blues
Il y a plus encore : l’humour d’un peuple oppressé -
et les balles de coton continuent à rouler…
Une brève pause - le temps de s’intéresser au sort d’un
ouvrier charpentier dont le seul « crime » fut de revendiquer la
création d’une université dans la ville de Brno en Moravie afin que ses enfants
puissent avoir une vie meilleure faite d’éducation. Frantisek Pavlik ne pouvait
savoir que ce dimanche 1er octobre 1905, jour de manifestation,
serait son dernier.
Sonata
1.X. 1905 – (Leoš Janáček 1854-1928) -
Deux mouvements illustrent ce tragique événement dans un
style presque cinématographique. Dans le premier mouvement
« Pressentiment », on peut quasiment entendre sa femme le supplier « N’y va pas, reste à la maison, c’est
dimanche ! Joue avec les enfants ! » (Janáček a souvent utilisé le langage
comme inspiration de ses mélodies), mais le mari déterminé répond « Non, je dois y aller ». Alors
commence le second mouvement, « La mort », dans laquelle grandissent l’inquiétude
et l’excitation. La manifestation est en marche ! La foule se fraye un
passage vers la place de la ville, et sur les marches du Dôme Besedni -
maintenant Maison de la culture arrive le funèbre moment où un infortuné soldat
perd son sang froid. Si la coda représente l’action de la mort, l’ensemble de
la pièce est coloré de circonstances tristes. Janáček, qui l’a écrite dans un état
de colère, détruisit la partition après sa première interprétation – « les feuilles blanches, telles des cygnes,
flottaient sur la Vltava ». Heureusement, la pianiste Ludmila Tuckova,
en avait fait une copie (bien lui en a pris car Janáček lui-même regretta plus tard
son « acte de vandalisme »).
Il existait un troisième mouvement, une marche funèbre, qui n’a pas échappé à
la destruction.
Les temps nouveaux (Paris 1871) - (Tony Hymas né en 1943)
Deux chansons et quelques rapides clins d’œil à Hector
Berlioz ou même un salut, constituent la base de cette pièce. La première
« La semaine sanglante », une chanson populaire de l’époque, raconte
le massacre qui a suivi La Commune de Paris en 1871*, une expérience d’humanité
et d’égalité qui s’est terminée par un infâme acte de répression. Les cloches
de Notre-Dame ont-elles sonné ? Qui sait ? Ici, oui. La seconde
chanson ? Sur des paroles de Christian Tarting suivant la mélodie, elle
fut écrite pour Marie Thollot (je dois préciser que cette mini suite est
adaptée de la musique composée pour le disque De l’origine du monde, relatif à Gustave Courbet et La Commune,
réalisé pour les disques nato en 2010). Mais cet après-midi, c’est une chanson
sans mots.
Essaim de Mouches - (Marie Jaëll 1846 – 1925) -
Marie
Jaëll, une élève de César Franck, Saint-Saëns et Liszt (le titre de cette pièce
est-il un hommage à cette étude en doubles croches, la transcendantale
étude « Feux follets », une sorte d’autodérision ?). Née Marie Trautmann,
elle épouse Alfred Jaëll. En duo de pianistes, ils connaissent une carrière à
succès. En tant que professeur, elle a révélé plusieurs pianistes notoires.
Éclogue – (Mel Bonis 1858 – 1937) -
Mélanie Bonis
signait Mel pour cacher sa féminité. On tolérait alors une femme pianiste, mais
compositrice, non ! Ses parents étaient farouchement opposés à l’idée
qu’elle fasse carrière en musique, la destinant seulement contente à un
« bon » mariage, avec un garçon fortuné de préférence. Mais César
Franck l’entendit jouer sa musique et fut si impressionné qu’il persuada les
parents de l’inscrire au conservatoire. Elle y rencontra un jeune et brillant
étudiant, le chanteur Amédée Landely Hettich. Fin des études ! Retour au mariage avec un Monsieur
Albert Domange, homme d’affaire bien loti et plus âgé. Pendant 10 ans, elle dut
mettre de côté la musique pour s’occuper de ses trois enfants. Mais elle revit
Hettich qui lui inspira de composer à nouveau et la présenta à l’éditeur Leduc.
Un enfant naquit de cette aventure, Madeleine, née en secret dans une histoire
de famille compliquée. Elle fut adoptée et ne retrouva sa mère que sur le tard.
Pas de fin heureuse, la conscience de Mélanie et sa culpabilité religieuse s’en
assuraient. Mais elle écrivit beaucoup de musique (orchestre, chambre, piano,
chant…) comme testament du travail
d’une vie. « Éclogue » semble en seulement trois minutes narrer
l’histoire de sa vie. Qui viendra alléger l’humeur cette fois ? Une petite
ballerine ?
Air de Ballet Kallirhoe – (Cécile Chaminade 1857 – 1944) -
Chaminade, nom
célèbre dans les annales du piano français. Elle rencontra le succès à domicile
et aux USA comme pianiste et compositrice. Ses compositions au nombre de 170 et
davantage sont aujourd’hui largement oubliées, mais cette courte pièce démontre
ses capacités humoristiques, l’élément le plus important étant sans doute
l’instruction « lunga pausa ».
La plus que lente – (Claude Debussy * 1862 – 1917) -
Que signifie le titre ? « Attendez – et attendez encore » ? L’instruction
« molto rubato conmorbidezza » (à part le fait de permettre au
pianiste de se laisser aller) en signifie-t-elle la philosophie ? Une
méthode pour vivre ? Certainement, cette pièce, composée en 1910, entre
les deux livres des Préludes, est une valse lente (genre populaire à l’époque).
Debussy écrivit à Legrand, son éditeur avec un brin d’ironie : « Ne nous limitons pas
aux tavernes. Pensons à ces
innombrables salons où, pour le thé,
s'assemblent les auditoires
dont j'ai rêvé ».
Influence ou coïncidence ? Le thème de
Si tu vois ma mère – (Sidney Bechet 1897 – 1959) -
comporte plus
d’une ressemblance avec « La Plus que lente ». Comme de nombreux musiciens de jazz, Bechet a été
influencé par le maître français. Et si Debussy s’est installé depuis belle
lurette dans le Panthéon des compositeurs qui ont changé le cours de la
musique, Bechet aussi fait partie de ceux dont la voix et le son (ici un
saxophone soprano) ont intégré la conscience collective. Né Américain, le
saxophoniste trouva la célébrité et la tolérance en France ainsi qu’en
témoignent ces nombreux titres en français : « Petite Fleur »,
« Les Oignons », « La
nuit est une sorcière » parmi d’autres.
Et si vous
voyez ma mère, s’il vous plait, dites-lui que je vis désormais avec
Les Gitans
d'Avignon – (Ursus Minor né en 2003) Arrangement : Tony Hymas
Dans son
deuxième disque, Nucular (disques
nato), le groupe franco-américano-anglais Ursus Minor a improvisé plusieurs
morceaux, dont celui-ci de passage à l’Ajmi en Avignon. Tour à tour, la vie de
tous les jours … puis les menaces pour des gens repoussés toujours plus
loin ; la brume s’épaissit.
T.H.
·
Note : Le
père de Claude Debussy, Achille Debussy était communard et c’est en prison
qu’il rencontra Charles de Sivry, pianiste au Chat Noir, beau-frère de Verlaine
et fils d’Antoinette Mauté qui devint la professeure du jeune Claude.
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