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Photo : Laurent Poiget |
• Des origines à nos jours, nos Sons d'hiver
L'insistance a les habitudes de ses habitants, la stabilité de ses éclats, la donne de l'autre. Janvier 2003, au studio Campus et sur la scène de Sons d'Hiver se crée Ursus Minor, groupe d'emblée respirant par les espaces de ses ouvertures. On dit que le temps de janvier indique celui des mois suivants. 15 ans plus tard, ces mêmes endroits et Ursus Minor se retrouvent (ce fut aussi le cas en 2004, 2006, 2010, 2012 pour chaque tête de chapitre). "
Voilà !" Comme on dit aujourd'hui. Lorsqu'Ursus Minor fut rêvé, pensé, déterminé, il n'entrait dans aucune case y compris dans l'espace récupérant réservé à ce qui sort du cadre et donc dans un aucun programme ou petit arrangement de type "kulturel". L'accueil de Sons d'hiver fut exceptionnel et augura de maintes suites ici et ailleurs. 15 ans plus tard, après un corrézien
What matters now, riche des particularités d'expériences des années 2012 à 2016, d'une certaine histoire populaire, après plus d'un an de silence et de bouleversements du ciel, Ursus Minor, évadé de la toile de fond, réapparait en une forme neuve, plus ramassée diront les spécialistes, avec, nouveau commensal, Crescent Moon, évidente association astrale-amicale-politique.
• (Ne) Choisy (pas)-le-Roi
Le 28 janvier 2018, donc, au Théâtre Paul Éluard de Choisy-Le-Roi (la ville de Rouget de Lisle et de la Bande à Bonnot - seul le premier a une statue), Ursus Minor et Crescent Moon partageaient la scène avec P.O.S et DJ Ander Other. P.O.S et Crescent Moon sur une même scène, c'est pour tout amateur de hip hop
indépendant une occasion quasi
thaumaturgique. Deux voix qui surgissent du tumulte pour en accroître la fécondité. P.O.S est l'auteur d'un véritable sémaphore discographique intitulé Never better et ses autres albums sont autant de lanternes. Tout y est pur mouvement et les mots d'un formidable discernement. À partir d'une expérience intensément vécue, dans le constat implacable d'un monde traumatisé d'oppression, se dessinent toujours les courbes d'une image naissante ("I take my time with it / I take forever, so sick of work and that clever / Let's skip ahead to the next / Pushin' my own limits / I make it better / Ain't no one touching my future"), les signaux nécessaires ("They on some nonsense, we on some nonstop!" "And we float like kites through your turbulence"). Crescent Moon est le rappeur du duo Kill the Vultures (comme P.O.S également de Minneapolis), groupe dont le plus récent album, Carnelian, perle tellement organiquement inspirée, est riche de signaux multiples et neufs (on conseillera aussi vivement Ecce Beast et The Careless Flame). Stokley Williams pour l'heure envolé vers une carrière de chanteur, c'est Rodney Ruckus qui s'assoit au tabouret de la batterie aux côtés de Grego Simmons (guitariste sur
What matters now ayant succédé à Jef Lee Johnson et Mike Scott) et des vétérans François Corneloup et Tony Hymas. De la voix, du geste, tout palpe et palpite, s'harmonise là où s'élancent le sens et les interstices rassemblés suggérant un corps sonore d'une folle réalité. Seule reprise, l' actualisée "United States of Amnesia" de Robert Wyatt si terriblement à l'ordre du jour (coïncidence, le 28 janvier est la date de naissance de l'ex Soft Machine) et brièvement introduite "
Il n'est pas facile d'être un américain de nos
jours, mais quand est-ce que ça pourrait l'être ? ", le reste du répertoire comporte cinq copieux arrangements de chansons de Kill the Vultures et cinq titres tout neufs se terminant (s'ouvrant) sur un "Standing Rock 2016" particulièrement bienvenu au regard de l'actualité. L'évocation de Philando Castile dans la ballade douce-amère argumentée en colère finale "Lucky" rejoint celle de Mike Brown dans la première partie avec P.O.S. Ferguson, Minneapolis, banlieue parisienne : crimes racistes à répétition de forces dites de "l'ordre". P.O.S rejoint le quintet pour un rappel généreusement improvisé, terminaison ouverte de cette fortifiante soirée.
• Cap sur Saint-Claude
Fortifiante soirée donc, alors poursuivre et en route pour une semaine fraternelle ! Le lundi matin, en chemin, on embarque le dessinateur Zou qui a assisté au concert la veille (il croquera la semaine) et on prend le train jusqu'à Saint Claude. Enfin pas tout à fait, car en Macronie les trains qui ne sont pas TGV se font tellement de soucis qu'ils sont remplacés par des cars. Donc à Bourg-en-Bresse (prononcer Bourkembresse nous indique une aimable voyageuse), tout le monde descend puis monte dans le très petit autobus (la conductrice n'est pas sûre que tout le monde rentrera). Entrainée par un jovial François Corneloup, la petite troupe chante un peu de son saoul pour égayer les voyageurs transformant cet avatar néo-libéral en voyage de vacances. Enfin, c'est l'arrivée à Saint-Claude avec un accueil immédiatement chaleureux. Après le repas, visite de la Maison du Peuple de la Fraternelle. Issue des cercles ouvriers de l'après Commune et devenue coopérative alimentaire, après avoir repris d'autres locaux sanclaudiens, La fraternelle construisit sa propre maison, sur le modèle de celles des socialistes belges. On y trouvait un théâtre, un café populaire, des salles d'assemblées, une bibliothèque, une boulangerie, des caves à vins, une imprimerie. L'actuelle Fraternelle, qui s'efforce de vivre en accord avec le vœu initial de cette maison, conserve également les traces et marques de l'histoire de celle-ci (elle fut un haut lieu de résistance pendant la seconde guerre mondiale). On s'émerveille de la bibliothèque et de ses originaux ou encore de l'imprimerie (toujours en activité). Aujourd'hui, La Fraternelle abrite donc toujours une incroyable imprimerie, mais aussi un cinéma, un café, une Art'Othèque (où l'on dégotte affiches superbes
maison, cartes postales
maison aussi, livres ou disques - tous liés à la vie du lieu). Cette Maison du Peuple sera le théâtre d'une semaine de vie pour Ursus Minor, Crescent Moon et Zou. On y jouera aux échecs ou l'on se promènera dans les monts alentours, on visitera les musées de la Pipe et du Diamant ou celui de l'Abbaye (où l'on retrouvera deux peintures de Rebeyrolle qui ne seront pas les seuls signes limousins du voyage), on y répétera, écoutera de la musique ou des êtres, devisera sur l'état du monde, la musique ou l'histoire, boira, étudiera, rira, dessinera, farfouillera (L'Art'Othèque de la Fraternelle à Saint-Claude a demandé aux plantigrades ainsi qu'à Zou de choisir
quelques œuvres pour l'exposition dans le café, l'excitant moment du
choix fut de grande joie), on y apprendra même de surprenants détails sur les renards ou les biches... Difficile de tomber mieux, après une première escale au lieu d'origine si fidèle, pour poursuivre le voyage d'un groupe en quête de sources et de pluriels. Il est des situations, des endroits, où la parole se libère, l'esprit
poétique prend son élan, la vie se salue et où on finit toujours par
danser... où on ne finit pas d'ailleurs. Cette semaine à La Fraternelle
de Saint-Claude, à la Maison du Peuple, quelque chose a commencé.
• Une certaine Maîtrise
On ne perd pas (forcément) son temps à l'école. La
force de l'histoire ou plutôt du rythme de l'histoire. À la bien nommée
Fraternelle de Saint-Claude, les matins du 31 janvier et du 1er février, les classes
de 3ème du Collège de la Maîtrise à Saint-Claude à la rencontre de
Crescent Moon et Ursus Minor. Intensité et rires entre autres détails
d'une certaine forme de conscience résistante qui participe du devenir
immédiat du monde contre la mise en péril de l'être. Les élèves de 3e du
Collège de la Maitrise à Saint-Claude ont été impressionnants de vérité
poétique, de lucidité politique et d'une courageuse ouverture qui a
permis cette rencontre où furent évoqué moult agitation des consciences, pressentiments et impressions mouvementées à partir du thème douloureux de la déportation.
"
On est parti 302 et revenus 116" (Andreas, Samuel), "
Il est beaucoup question de liberté" (Clémentine), "
Il y avait une odeur, l'odeur de la peur" (Enzo, Corentin), "
Le bruit des roues qui rend sourd" (Jules, Robin), "
J'ai eu beaucoup de chance de n'avoir aucun besoin" (Kenza, Quentin), "
Alors on a cherché et on a trouvé" (Lisa, Manon), "
Je grave dans mon esprit cette lueur impossible" (Werther, Roméo), "
Tous prêts à mourir parce qu'on a voulu se nourrir" (Alanis, Simon), "
Pourquoi autant de cruauté dans ce monde désabusé" (Ménelle, Mélanie, Farah), "
À l'aube, la réalité, pour me réveiller ne cesse de frapper" (Jeanne, Crystal), "
Ces
mots de tête qui se répètent, se répètent, se repètent, sans cesse dans
cet enfer, dans la guerre meurtière, tu n'as plus les mots, les mots,
les mots" (Sarah, Inès), "
Jedem das sein, comprenez ça comme vous voulez" (Hugo, Nathan), "
Révolté qu'il soit dans cet enfer !" (Marthe, Mélanie), "
Ici
dans ce camp, on ne ferme jamais l'œil, les chances de tomber dans un
sommeil infini, sont plus importantes que celles de la survie" (Nicolas, Clara), "
La haine est titanesque et se réveille sans fin" (Nicolas, Téo), "
J'ai peur de faire mes souvenirs, je veux mourir pour enfin dormir, et partir, pour enfin entendre des rires" (Valentine, Kelly), "
How are we going to get out of this house ?"
Relations continuelles d'une
histoire sans abandon, (la résistance hier et aujourd'hui), brûlures
actuelles (Philando Castile), luttes vivantes (Standing Rock). Et pour
finir, après un révélateur morceau collectif intitulée par les élèves "Putain de maladie", la danse, évidence des corps libres, s'invita...
• À 1000 mètres : Saint-Laurent-en-Grandvaux,
La rencontre avec les enfants ne s'interrompra pas, certains se joindront même au concert du samedi. Le mercredi, au conservatoire de Saint-Laurent-en-Grandvaux, sorte d'île mystérieuse débordante d'amabilité où règne une éloquente énergie, François Corneloup mène atelier avec d'autres enfants, plus jeunes encore, certains plus petits que leur saxophone, autour de "Mercy, Mercy, Mercy", heureux thème de Joe Zawinul écrit pour Cannonball Adderley. Zou dessine toujours. Dans la même salle le soir, Tony Hymas joue Léo Ferré devant grandvallières et granvalliers si ravis qu'ils se précipitent sur l'improvisé stand de disques ("précipiter" et "disques" sont des mots qui peuvent encore aller bien ensemble, très bien ensemble). François Corneloup, Joe Zawinul, Cannonball Adderley, Tony Hymas, Léo Ferré, pas très loin de chez Gustave Courbet, au pays des rouliers où "
les miroirs rêvent de nos
faces".
• Incident à Oglala
Le jeudi soir après quelques
échanges sur les étranges réalités de la production discographique, le
cinéma de La Fraternelle diffuse
Incident à Oglala de Michael Apted.
Pourquoi cette projection ? Il y a bien des raisons, en voici quelques-unes :
- Ursus Minor est lié à Minneapolis, Crescent Moon y vit, et c'est à Minneapolis que naquit l'American Indian Movement
- John Trudell fut un activiste de ce mouvement, ce qui eut des
conséquences tragiques pour sa famille, il fut aussi un grand poète
et notre ami. C'est lui qui trouva le titre de l'album Oyaté de Tony Hymas, auquel il a participé
- Dennis Banks nous a quittés l'an dernier
- Et au début de cet an dernier, le président Obama, avant de céder la
place à Donald Trump, a refusé la demande de grâce demandée par les
proches de Leonard Peltier en prison depuis 1976 après une caricature de
procès (détaillée dans le film)
- Ursus Minor et Crescent Moon jouent un morceau intitulé "Standing Rock 2016"
- Tony Hymas et Barney Bush ont publié un album intitulé Left for Dead dont le titre clé est dédié à Leonard Peltier
- Parce qu'il n'y a pas d'ailleurs ultérieur hors du souci réaliste et de son rêve profond
- Et puis on est à la Fraternelle alors...
• Retrouver les gestes à venir
Gustave Flaubert (écrivain raisonnablement talentueux, mais cuistre de
la gent bourgeoise) s'est méfié des ours qui dansent (
Madame
Bovary) comme il a méprisé les communards. Ici à La Fraternelle de Saint
Claude, le sentiment de Commune est fort et l'accueil des ours
merveilleux. Le samedi est le jour du concert, il neige et pourtant l'affluence impressionne, l'amitié est forte, l'installation idéale, les reflets conjoints ne fléchissent pas. Il y a un tableau de Pierre Bonnard au musée de l'Abbaye à Saint Claude, Bonnard pour qui "
il ne s'agissait pas de peindre la vie, mais de rendre vivante la peinture" et pour qui
"La peinture devait revenir à son but premier, l'examen de
la vie intérieure des êtres humains." La musique inventée la semaine précédente se risque autrement,
ouvre d'autres espaces, de sentiment et d'imagination, de pulsation où le flux des mots pénètre les interstices de glissements, de métaphores et c’est précisément dans ces
interstices que s’infiltre la musique. Une sorte de figure d'origine. On est déjà dans la suite du moment même.
Remerciements chaleureux et amicaux:
• à Sons d'Hiver et au Théâtre Paul Éluard à :
Fabien, Fabien, Armelle, Nathalie, Catherine, François, Sylvain, Jacques, Nicolas, Philippe, Pierre, Laurent, Maria, Cécile, Anthony, Marc
aux camarades de Campus
• à La Fraternelle à:
Christophe, Sylvie, Marine, Elza, Esmeralda, Natacha, Sandra, Laetitia, Antonio, Baptiste, Cisco, Zélie, Cédric, Zozo, Bruno, Adeline, Sabrina, Aurélia
aux profs de la Maîtrise:
Nathalie, Carole, Sandrine, Liendina
à Cassandre CSZ
• à Saint-Laurent à :
Philippe, Bruno, la chouette équipe de la buvette
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Photo : Cassandre SCZ |
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Photo : François Corneloup |
Photo : B. Zon
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Photo : Cassandre SCZ |
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Photo : Cassandre SCZ
Photo : B. Zon
Photo : B. Zon
Photo : Elza Van Peps
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Photo : B. Zon
Photo : Elza Van Peps |
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Photo et suivantes : B. Zon |
Post blogum 1 :
Au cambrioleur qui a opéré à La Fraternelle : on ne cambriole pas une imprimerie, un cinéma indépendant ou une maison du peuple. C'est contre toi - choisis tes cibles - et si tu lis cette note, nous t'adresserons avec plaisir les deux volumes de la correspondance d'Alexandre Marius Jacob (correspondances aperçues d'ailleurs dans une bibliothèque de Saint Claude). Et si cela ne suffit pas alors médite cet extrait des "Stances à un cambrioleur "de Georges Brassens : "Post-Scriptum, si le vol est l'art que tu préfères / Ta seule vocation, ton unique talent / Prends donc pignon sur rue, mets-toi dans les affaires / Et tu auras les flics même comme chalands"
Post blogum 2 :
On
peut parfaitement, avec un peu d'entraînement quand même dans le bus
qui vous conduit pour un séjour à Saint-Claude à partir de
Bourg-en-Bresse (la Macronie n'aime pas les trains qui rendent service),
s'abstenir des blagues lourdingues, téléphonées et forcément agaçantes
et pénibles pour les Sanclaudiennes et Sanclaudiens. Mais il faudrait
tout de même que le Musée de la pipe et du diamant y mette du sien en ne
plaçant pas la barre trop haut.
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