Enfants d'Espagne

Enfants d'Espagne

15.8.23

CHRISTIAN ROSE

Photos retrouvées : un trio furtif aux Instants Chavirés de Montreuil-sous-Bois : Tony Hymas, Noël Akchoté, Mark Mondésir et le trio d'Arto Lindsay avec Melvin Gibbs et Dougie Bowne, devenu l'espace d'un soir quartet avec Marc Ribot, au New Morning à Paris. On peut aisément imaginer que les guitares s'enflammaient de joie dans cette espèce de bout en bout en un espace réservé (sens indien), explosif et si bref, que Léonard de Vinci aurait eu bien du mal à quantifier. Les voyages interplanétaires sidérants peuvent, le temps de l'éclair, vibrer, l'air de rien, en une sorte de grotte ignorée par la foule. Les souvenirs sont vifs, constitution réelle de la vie des musiques chéries, de leur importance. Plus que les listes sélectives, passoires cruelles des loupés historiens, la somme de ces petits moments aux tailles astronomiques. Pour les saisir véritablement, un magnétophone errant parfois, capable de capter soudain ce qui s'avérera si définitif, mais aussi et peut-être surtout, l'œil photographique pour peu que le photographe soit mû par une curiosité en complète conjugaison avec la vie de ces lieux dérobés, qu'il saisisse la fringale fugitive. C'était le cas de Christian Rose, que l'on sentait si souvent présent en plusieurs endroits pour témoigner dans cette affaire qui aurait, un jour, sérieusement besoin de témoins. En attestent ces deux photographies (publiées dans Jazz Magazine n°454) qu'il sut saisir fin de l'an 1995.

En nos temps où le tout phototéléphonographié confère tellement à l'insensée plongée dans un oubli surdocumenté, quelques photographes se fraient encore un chemin dans l'intimité de la musique : Eric Legret, Christian Taillemite, Margaux Rodrigues, Jérôme Prébois, Jjgfree, Hélène Collon, Sergine Laloux, Jeff Humbert ou le musicien François Corneloup, pour n'en citer par exemple que quelques-uns, ou encore bien sûr, Jean-Marc Birraux puis Christian Ducasse, sortes de liants soutenus entre deux époques (ou trois ou quatre). Dans l'hier qu'on ne voudrait pas reléguer aux abîmes, notre apprentissage passait souvent par le caractère miraculeux de ces images rapportées grâce à un orchestre photographique identifié comprenant fréquemment Guy Le Querrec, Horace, Gérard Rouy, Thierry Trombert, Philippe Gras, Jacques Biscéglia, Marie-Paule Nègre et Christian Rose. Rose, justement, capable de multiples échappées, était apte à saisir discrètement, si justement souvent avant célébrité, Jimi Hendrix, Janis Joplin, les Ramones, Buddy Guy, Etta James, Chaurasia, Muddy Waters, Nina Simone, Snoop Dog, Chaka Khan, Karlheinz Stockhausen, Diana Ross, Macy Gray ou (vers chez nous) les Lonely Bears, Elvin Jones et Michel Doneda ou encore, entre des centaines d'exemples d'excitations rares de "tous les soirs sont des grands soirs", ce trio réunissant Tony Hymas, Noël Akchoté, Mark Mondésir et cette rencontre parisienne entre Arto Lindsay et Marc Ribot. Tellement présent, simplement présent.

Christian Rose a tenu une sorte de mémento photographique de soixante années, un lexique particulier aux traces imprimées dans quelques livres (Instants de Jazz - Éditions Filipacchi 1996, Jazz Meetings - Éditions du Layeur 2003, Zappa in France - Éditions Parallèles 2002, Black & Soul - Éditions du Layeur 2004) et plus encore dans des centaines de numéros de quotidiens et revues spécialisées ou non. Le jour du concert en solo de Biréli Lagrène à la salle Gaveau, le 7 mai 2022, là bien évidemment, il avait tenu à photographier Vincent Mahey, producteur de Solo suites (Peewee 2022) en compagnie amicale d'un autre producteur. Photographies d'histoires affectionnées qui établissent toute une vie. Christian Rose est parti dans un dernier déclic, le 11 juillet 2023. 

Photographies : Christian Rose - Jazz Magazine n°454


 

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