Un défi de tendresse prêt à tous les bouleversements de l'éclair ; le regard de Mai Zetterling frappe dès les premiers films où elle paraît. Comédienne de théâtre accomplie dans la neutralité suédoise, elle se révèle dans les deux films d'Alf Sjöberg Tourments (1944) et Iris et le cœur du lieutenant (1946), qui ouvriront la piste bergmanienne (Ingmar Bergman, scénariste de Tourments, lui offre le premier rôle de Musique dans les ténèbres - 1948) et la piste anglaise (le succès britannique d'Iris et le cœur du lieutenant convainc Basil Dearden de pleinement la voir incarner le personnage de son long-métrage Frieda). Sa filmographie s'épanouit, se pigmente. À l'instar d'autres grandes actrices suédoises (Ingrid Bergman, Bibi Andersson, Ingrid Thulin, Harriet Andersson, Anita Björk, Anita Ekberg, Gunnel Lindblom, Liv Ullmann), elle traverse, embrasse, prend de vitesse, les tournages des années 50 et 60 de tous genres. Le point d'attache est bien le cinéma et sa façon précise, diablement ouverte. Elle duettise avec Tyrone Power, Dirk Bogarde, Richard Widmark, Richard Attenborough, Laurence Harvey, Peter Sellers (inhabituel Sellers dans On n'y joue qu'à deux de Sidney Gilliat - 1962) et apparaît parfois dans d'indémodables - parce qu'immédiatement tournillant le goût du jour bien marqué - séries (Destination Danger). En 1959, elle joue pour la trop oubliée réalisatrice anglaise Muriel Box dans son long-métrage La Vérité sur les femmes : ça n'a rien d'anecdotique.
Mais ce sont les sept films de fiction qu'elle a réalisés qui libèrent furieusement la marque de son perçant regard. Mai Zetterling est l'une des très grandes cinéastes et ses films bien trop difficiles à voir. Cet été, quatre d'entre eux reprennent leur place sur le grand écran des salles de cinéma : trois des quatre films qu'elle réalisa en Suède dans les années 60 (Les amoureux, Jeux de nuit, Les filles) et son dernier en 1986 (Amorosa). Le cinéma comme moyen premier d'ardeur rebelle, d'échappée de la sexualité, de fracas contre l'hypocrisie de la famille, de charge implacable contre l'aliénation de la société consumériste et l'absurdité cruelle de la division de classes, d'éclairage inédit sur la condition des femmes et l’hégémonie masculine (sublime mise en perspective de Lysistrata d'Aristophane dans Les filles), d'observation des intrications, solitudes, touchers et détachements humains, d'humour aussi (que faire sans ?). Visuellement c'est sacrément insigne, inventif, empoignant. La complicité des actrices et acteurs est totale (Bibi Andersson, Ingrid Thulin, Anita Björk, Harriet Andersson, Gunnel Lindblom, Gunnar Björnstrand, Keve Hjelm, Naïma Wifstrand...). Le tempo est rigoureux mais l'idée échappe au temps et fouille à bras le corps dans les blessures de tous les présents en utilisant une impressionnante batterie d'éléments (il y a même un solo de batterie dans Jeux de nuit) pour assortir les secousses d'un futur déjà englouti.
Il y a urgence à découvrir ou redécouvrir les films de Mai Zetterling. Elle nous avait découverts en temps.
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