Enfants d'Espagne

Enfants d'Espagne

30.3.25

NO BORDERS IN NORMANDIE
TONY HYMAS & CATHERINE DELAUNAY


"Les temps sont...", "les temps sont...", un fond de souvenirs, s'esquisse une chanson de Léo Ferré et l'on se remémore les obsédantes remarques de Bertolt Brecht sur la position de l'art dans la société en des moments de basculement intense... 

Aussi s'inventorient les pas sur la route comme autant d'ébauches de bornes libres. C'est toute une histoire lorsque demeurent la relation et la conversation comme subsistances essentielles d'une espèce menacée par les sinistres fantasmagories de la concrète âpreté. 

No borders ! Une réponse. La plus humainement simple, la plus autoritairement entravée, piétinée par les mécanismes malfaisants. Nous retiendrons "la plus humainement simple" comme élan, éclairage, perspective. Nous retiendrons No Borders comme simple désir de vie. "L'art aussi doit choisir".

Les 13, 14 et 15 mars, Tony Hymas et Catherine Delaunay étaient en tournée dans deux villes normandes, Caen et Cherbourg. Une petite tournée, mais qui faisait le tour du monde, ce monde aux invitations "humainement simples". 

À Caen le 13 mars, l'invitation vint de l'association Le Tympan. C'est un très beau nom Le Tympan, un nom de tambour et d'architecture (architecture de détails fous se glissant dans l'ordinaire) et d'essentiel auditif, et enfin un épatant lieu de concert : bâtir ce qui a priori n'existe pas, mais qu'on ne saurait soustraire. Un accueil merveilleux.

Depuis l'enregistrement de l'album No Borders à La Fraternelle de Saint-Claude (un autre bon bout du monde), la clarinettiste et le pianiste n'avaient pas joué en duo. Ce soir : "Dom Qui ?" dédié à Armand Gatti,  trois pièces de Jacques Thollot, les très informés "Jusqu’au dernier souffle (quand la terre se soulève)", "Jusqu’au dernier souffle (I can’t breathe)", "Jusqu’au dernier souffle (Un dimanche à Sainte-Soline)", "French streets in April 2023 / Freed from desire", un salut au Comanche Quanah Parker, une évocation éthiopienne, une autre d'Adélie, une apparition du Kraken, une poignante dédicace à Tony Coe, des questions à résoudre ("A severe case of angularity"), une tendresse vers La Fraternelle et une évasion nocturne (blues bien sûr). Exploration sillonnant les dimensions du grand air quand l'amorce poétique se joue des tensions. Tout à coup au Tympan, vue battante sur la vallée de tant de sources, elle est magnifique, on en cerne tous les détails. L'après concert est une fête.

À Cherbourg le 14 mars, l'association Presqu'île Impro Jazz a emprunté le Théâtre des Miroirs. L'histoire se poursuit de toutes ses alluvions. Les sourires font plaisir, décisifs. Les échanges abondent. Questionnement de notre temps aussi. Le soir, pour Tony Hymas et Catherine Delaunay, même programme qu'hier, autre visite, le départ est l'arrivée d'hier. La presqu'île se fait île et la fugue s'intensifie. Au cœur. Audace et enthousiasme ont tous les droits, l'amitié aussi : l'ardeur nourrie des rêves. Dans la salle, tout le monde fait corps. No Borders !

Autour du stand de disques : foule. Ensuite encore, la fête et ses prolongations le lendemain, après que la cloche ait sonné l'Angelus, au conservatoire dans l'échange avec des apprentis musiciens, puis chez un gallois de bonne cuisine. 

À Caen et à Cherbourg, nous avons rencontré des personnes qui ont les clés de possibles à venir. La musique se fait par elles ensemble, elle se fait en résonance, en encouragement. Débordante pour demain.


Merci à Philippe, Valentine, Irène, Denis, Elizabeth, Mélanie, Lionel, Eric, Francine, Nicolas, Michel, Marie-Odile, Philippe, Béatrice, André... et celles et ceux au Tympan, au Théâtre des Miroirs, à la Médiathèque Paul Éluard, au Conservatoire et plus encore, qui ont œuvré à la réussite de ces moments inoubliables.

• Photo : Béatrice Le Marinel (Cherbourg)

 

 



1.3.25

FROM GROUND ZERO

 
À quoi sert le cinéma ? Pourquoi est-il encore là. Oubliez tous les Oscars, Césars et autres stériles faireparts, et allez voir sans plus attendre cette réponse magnifique qu'est le film From ground zero réalisé à l'initiative de Rashid Masharawi. Un film fait de 22 courts métrages de formes diverses (fiction, documentaire, animation) réalisés par différents réalisateurs et réalisatrices en 2024, à l'intérieur de La bande de Gaza. C'est saisissant d'invention, d'humanité, d'intelligence, de vision, de proximité, de beauté tenace...
 
• From Ground Zero : "Selfie" de Reema Mahmoud, "No Signal" de Muhammad Alshareef, "Sorry Cinema"de Ahmad Hassouna, "Flash Back" de Islam Al Zrieai, "Echo"de Mustafa Kallab, "Everything Is Fine" de Nidal Damo, "Soft Skin" de Khamees Masharawi, "The Teacher" de Tamer Najm, "Charm"de Bashar Al-Balbeisi, "A School Day" de Ahmed Al-Danf, "Overburden" de Ala’a Ayob, "Hell’s Heaven" de Kareem Satoum, "24 Hours"de Alaa Damo, "Jad and Natalie" de Aws Al-Banna, "Recycling" de Rabab Khamees, "Taxi Waneesa" de E’temad Weshah, "Offerings"de Mustafa Al-Nabih, "No" de Hana Awad, "Farah and Mirayim" de Wissam Moussa, "Fragments" de Basil Al-Maqousi, "Out of Frame" de Nidaa Abu Hasna, "Awakening" de Mahdi Karirah. 2024
 
 


23.2.25

JAMIE MUIR

Il y eut ce simple désir d'inviter le batteur écossais Jamie Muir à Chantenay-Villedieu. La réponse fut une très longue et très belle lettre expliquant où il en était avec la musique. Déjà, en 1984, en bonne partie, conjuguée au passé. L'après est parfois une millimétrique question d'instants. 

Son nom était lié à The Music Improvisation Company (de 1968 à 1971- album ECM 1970) avec Evan Parker, Derek Bailey, Hugh Davies et Christine Jeffrey, et dans ces rapprochements exaltés, à celui du King Crimson de 1972 où Robert Fripp s'offrit l'intelligent luxe de deux batteurs : « Je me suis dit : bon, Bill [Bruford] est un batteur adorable, mais peut-être un peu trop straight pour certaines choses. Puis j'ai pensé à cet allumé, Jamie Muir, que je venais de rencontrer [suggestion de Richard Williams du Melody Maker], un excellent batteur, mais pas vraiment assez carré pour certaines des choses que j'aimerais qu'il fasse... J'ai soudainement eu l'idée d'utiliser les deux, cela semblait si juste ». Entre The Music Improvisation Company et King Crimson : une grosse année. Ce batteur, qui avait commencé par le trombone dans sa jeunesse écossaise, s'illustre brièvement avec le turbulent Pete Brown (le parolier de Jack Bruce qui avait son propre groupe comptant au fil d'un temps court, John McLaughlin, George Khan et Chris Spedding). Avec Don Weller, Allan Holdsworth et Lyn Dobson, il explore les ferments d'une sorte de jazz rock anglais (disons, différent du rock jazz en cours). Comme d'autres improvisateurs, il est aussi invité par le compositeur de musique électronique Laurie Scott Baker. Même si marquante, brève aussi fut l'aventure avec King Crimson, où s'il fut sans doute le musicien le plus provoquant, le plus volcanique, repoussant les limites du groupe, il ne resta que quelques mois. Il disparut sans explication (ce qu'il regretta plus tard) après la sortie de l'album Larks’ Tongues In Aspic (Muir eut l'idée du titre "Langues d'alouettes en gelée") tournant le dos à une imminente tournée. « Certaines expériences sur une période d'environ six mois m'ont fait décider d'abandonner la musique ».

La musique n'offrait sans doute pas les réponses escomptées, il partit se retirer dans un monastère bouddhiste en Écosse. Mais, retour à Londres, revint la tenace free music. Pour Jamie Muir, l'improvisation devait être seulement vivante et jamais intellectualisée. Moment tenace mais fugace, en cet espace 1980 - 1983. Magnifiques éclairs avec Derek Bailey, Evan Parker, Paul Rogers, Alterations... L'improvisation n'apporte pas toutes les réponses ou les apporte-t-elle trop vite ? En 1983, il enregistre avec David Cunningham et Mike Giles (autre batteur de King Crimson) la musique du film Ghost Dance du réalisateur Ken McMullen (avec Leonie Mellinger, Pascale Ogier, Robbie Coltrane et Jacques Derrida). La dance music l'intéresse (il l'expérimente chez lui en multipistes, mais est bien trop méfiant de l'industrie musicale pour persévérer). Ghost ou Dance : le tourbillonnaire revenant délaisse la musique et finalement choisit le retrait et la peinture. Le temps court. Le 17 février 2025, Jamie Muir disparaît sans possible revenir. 

De cet inconnu si connu restent (ici) les mots d'une lettre et (ici et ailleurs) surtout une dizaine d'albums discographiques. 

Photo DR

 

 
 

14.2.25

HOWARD RILEY IN ATLANTIC CITY


Dans le film Atlantic City de Louis Malle (1980), il y a un beau passage musical qu'on identifie facilement en prêtant l'oreille (qu'il ne faut jamais vendre) comme étant ce qu'on nommait à l'époque "Free music". Il semble fort évident que cette partie échappe au compositeur affiché : Michel Legrand. Elle est jouée par une ensemble épatant avec Tony Coe et Evan Parker (anches), Barry Guy (contrebasse), Paul Lytton (batterie) et Roger Kellaway et Howard Riley (claviers). Howard Riley (disparu le 8 février 2025), qui fut un artisan infaillible de la nouvelle musique anglaise avec les gens précités, mais aussi avec Barbara Thompson ou Lol Coxhill ou encore, de façon plus surprenante peut-être, en un duo avec le pianiste américain Jaki Byard.

 

 

2.2.25

DEUX ANGLAISES ET LE CONTINENT :
DELIA MORRIS ET MARIANNE FAITHFULL


 
« Des mots venus de l'autre côté de la rive »
Léo Ferré (Le Chien)

« Elle aimait l’échange ; très attentive, elle écoutait beaucoup. Tellement chaleureuse et toujours partante pour aller découvrir, regarder, entendre des artistes connus ou inconnus. Avant "d’analyser" le concert, elle faisait part avant tout de l’émotion qu’elle percevait chez les musiciens et qu’elle ressentait. » Françoise Bastianelli, co-fondatrice avec Claude Tchamitchian et Marc Thouvenot des disques Émouvance, évoque son amie Delia Morris, qui nous a quittés le 29 janvier de cette année. Les productrices et producteurs phonographiques distribués par Harmonia Mundi (Daniel Lelong puis Alain Raemackers, responsables du jazz), entre la moitié des années 80 et l'aube du XXe siècle, ont connu cette anglaise née à Stafford, titulaire d'une maîtrise de Français, une autre d'Allemand, et une troisième de la School of Oriental & African Studies de Londres, venue s'installer dans le Sud de la France en 1983. Et s'immerger en Arles dans les musiques des collections de Bernard Coutaz. Cohérence.

La musique l'amène à la traduction et l'on sait tout le sens que cela prend de traverser la rivière des langues. Pour des albums discographiques du Quatuor Ysaÿe, d'André Jaume, de Michel Portal, François Raulin, Raymond Boni, Charlie Haden, Jimmy Giuffre, Joe McPhee, Steve Kuhn, Jean-Marc Montera, du Concerto Soave & Maria Cristina Kiehr, de l'Ensemble Venance Fortunat, Claudia Solal, de l'Ensemble Al-Kindî, d'Angelo Debarre, de John Greaves, Biréli Lagrène, Raymond Boni, Claude Tchamitchian, Araik Bartikian, Christophe Monniot, Guillaume Séguron, Bill Carrothers, de l'Ensemble Al-Umayri, d'Ikewan, de Stephan Oliva, Fred Frith, Jean-Pierre Drouet, Louis Sclavis, Tony Hymas, Tony Coe, Anouar Brahem, Sylvie Courvoisier..., parus sur les étiquettes Émouvance, CELP, Ajmi, Harmonia Mundi, Owl, FMP, Hat Hut, Le chant du Monde, FMP, L'Empreinte Digitale, Sketch, Institut Du Monde Arabe, Safar, (Illusions), In Situ, nato, Seventh, ECM, Intakt..., elle traduira des textes signés Christian Tarting, Jean-Paul Ricard, Alain Raemackers, Patrick Williams, Philippe Carles, Francis Marmande, Gérard Rouy, Michel Contat, Stéphane Ollivier, Olivier Cullin, Anne Montaron, Thomas Compère-Morel, Habib Yammine, Steve Shehan, Talia Mouracadé, Luce Carnelli, Manuel Jover... 

Lorsque dans une interview, Bob Dylan confie combien Rimbaud a eu d'influence sur son écriture et l'on sait qu'il ne parle pas français, on réalise l'importance des traducteurs, de leur gigantesque responsabilité de passage. L'horizon. La perception offerte en sa sensible précision. L'autre cœur. Françoise Bastianelli poursuit : « De la rigueur, une grande compétence et cette élégance dans son travail de traduction toujours très littéraire. Delia cherchait, questionnait beaucoup le texte à traduire, le corrigeait encore et encore, se remettait en cause… pour ne pas trahir le sens, et ne pas trahir l’artiste qu’il soit poète ou musicien. Mais sa grande passion, c’était la poésie qu’elle a beaucoup traduite.»
 
Son nouveau siècle sera celui d'une intensité traductrice avec des œuvres de Rosalind Brackenbury, André Ughetto, Sam Hamill, Bill Collins, Yusef Komunyakaa, Jane Hirshfiled, Joël-Claude Meffre, Christian Tarting (qui tenait tant à être traduit par elle)... En musique dans le texte. Dans les livrets des disques, mais aussi lorsqu'elle se joint à l'équipe de l'organisation du festival de La Tour d'Aigues avec Jean-Paul Ricard, Anne-Marie Parein et Bernard Coron. Elle retrouve aussi l'enseignement à l'invitation de Christian Tarting. « Et sa discrétion toujours » conclut temporairement, émue, Françoise Bastianelli. Pilier discrètement essentiel aux élans musicaux, à l'idée poétique qui seule peut encore sauver.

Le lendemain, 30 janvier, autre coup dur pour la poésie. Une des Voix d'Itxassou, la chanteuse Marianne Faithfull, s'éteint.

Marianne Faithfull, c'était sans doute un souvenir sixties un peu Dim Dam Dom, avec couvertures de Mademoiselle Âge Tendre, photographies, beaucoup de photographies (Marianne Faithfull a été très photographiée), évidemment d'infinies histoires de Rolling Stones, une apparition a cappella en 1966 dans le bar de l'hôtel de Made in Usa de Jean-Luc Godard ou une autre, la même année, chantant « Hier ou demain » dans la comédie musicale Anna de Pierre Koralnik (Anna Karina dans les deux films). Ah oui : "As tears go by", cette cloisonnante chanson trop définitive. Oh ! Marianne Faithfull chanta "Downtown" écrite par Tony Hatch pour Petula Clark, autre anglaise continentale dont Miss Faithfull était le contraire complément. Surtout (en tous les cas pour nous), à la fin de rauques seventies, Marianne Faithfull avait enregistré cet album au titre magnifique, Broken English, qu'on disait inspiré en partie par Ulrike Meinhof. Au-delà, il parlait à tous les désillusionnés mis à bas par les tenants du dictionnaire des notices réglementaires. On y (re)trouvait une force non dictée, du rêve aussi (ce qui est un peu de même essence). Une après-midi, au Nouveau-Mexique, John Trudell avait très bien parlé de ce disque, de sa réalité. 
 
Pour les Voix d'Itxassou (qui n'avaient pas encore de titre avant les mots de Francis Marmande pour l'ouverture du "Temps des cerises") et la chanson "Wieder Im Gefängnis", son nom fut immédiatement évoqué. Comme une flagrance brechtienne, un souvenir de Tchekov. Coup de fil immédiat, Marianne Faithfull est d'abord intéressée par ce chant du Goulag et la mention du nom de l'auteur du disque, Tony Coe, génère un immédiat « Wonderful ! Of course. » Rendez-vous fut pris deux semaines plus tard au Lansdowne Studio à Londres. Simple et merveilleux. Après la séance, moment partagé entre tous au pub voisin du studio, où les oreilles de Margaret Thatcher durent siffler. Marianne Faithfull devenait, avec Maggie Bell, François Fabian, Ali Farka Touré, Jose Menese, Aura Msimang-Lewis, Violeta Ferrer, Beñat Achiary, Abed Azrié, Marie Atger, Liria Begeja, Jean-Claude Adelin, Sandrine Kljajic, une des Voix d'Itxassou, terre d'humanité née de l'imagination, la simple imagination de vivre encore l'éclair humain.
 
Delia s'établit en terre continentale et Marianne y alla et vint, pour vivre chacune leurs généreuses Acquaintances


• Photographies : Anne-Lise Thomasson (Delia) - Dr Live (Marianne 1989)

26.1.25

BLINDTEST n°14 IN HORS SÉRIE AVEC CATHERINE DELAUNAY ET PIERRE TENNE

Hors Série est une émission en ligne traitant de différents sujets avec de longues interviews. Titres évocateurs des séries de Hors Série : "Aux ressources", "Dans le film", "Dans le mythe", "En avant Marx", "En accès libre", et "La diagonale sonore" avec pour cet épisode du 25 janvier 2025, le Blindtest n°14 en compagnie de la clarinettiste Catherine Delaunay. Elle s'entretient avec le nouveau présentateur de l'émission Pierre Tenne. Et il ne s'agit pas que de clarinette...

C'est ici

25.1.25

FREE LEONARD PELTIER

Février 1990, scène de la Maison de la Culture de Bobigny, festival Banlieues Bleues, le poète shawnee Barney Bush dit son poème « Left for Dead (prisoners of the American Dream) ». Il est là, à l’invitation du musicien Tony Hymas. Une première visite française pour ce militant des droits indiens, auteur de Inherit the blood, à l’occasion de la préfiguration de l’album Oyaté. « Left for Dead », laissés pour mort. Les mots résonnent fort. Barney Bush et Tony Hymas enregistreront ensuite ce titre et le joueront sur scène à chacun de leurs concerts. Un groupe réuni autour d’eux (Edmond Tate Nevaquaya, Evan Parker, Merle Tendoy, Jean-François Pauvros, Geraldine Barney, Jonathan Kane ou Mark Sanders) prendra même ce nom de Left for Dead pour des concerts en France, Allemagne, Hollande, Italie ou États-Unis.

« C’est vrai nous les Indiens faisons partie du rêve américain»*

« Left for Dead » est dédié à Leonard Peltier et Barney Bush le rappellera à chaque fois. Une dédicace vive puisqu’en 1990, Leonard Peltier, amérindien anishinaabe - lakota, était déjà considéré comme un des plus vieux prisonniers politiques du monde.

« Nous sommes des témoins muets qui parlent comme des miroirs »*

On ne reviendra pas en détail ici sur les événements qui prennent source le 26 juin 1975, à Oglala, dans la réserve lakota de Pine Ridge, alors sous haute tension depuis l’occupation de Wounded Knee en 1973 et ses conséquences répressives, lors d’une fusillade où deux agents du FBI furent tués. Leonard Peltier (31 ans, membre de l’American Indian Movement depuis 1972, mouvement né à Minneapolis en 1968 et représentatif du renouveau indien en Amérique du Nord) et deux de ses camarades furent poursuivis. Lui passa au Canada, eux furent arrêtés, jugés et acquittés. Réfugié en Alberta, Peltier fut arrêté par la police montée, extradé aux USA, puis condamné à Fargo, au terme d’un procès à charge avec, entre autres, irrégularités, faux témoignages ou manipulation et intimidation de témoins, et refus fait à ses avocats de présenter leurs témoins. Cette affaire est très bien relatée et documentée dans le livre de Peter Matthiessen In the Spirit of Crazy Horse (1983), ainsi que dans de nombreux écrits ou dans l’excellent documentaire de Michael Apted Incident à Oglala (1992, disponible en DVD).

« Amérique tes prisons regorgent d'âmes indigènes parce que notre nombre compte peu »*

Dès lors se sont constitués, partout dans le monde, des comités de soutien « Free Leonard Peltier », les avocats ont travaillé sans relâche à une révision du procès avec un lot d’évidences qu’on leur a toujours refusé d’exposer. Les manifestations, à Paris comme ailleurs, devant les ambassades des États-Unis étaient régulières et la liste des personnalités ayant intercédé en faveur de la libération de Leonard Peltier, sinon de la révision de son procès, est impressionnante d’hétéroclisme : Nelson Mandela, Jesse Jackson, Rigoberta Menchu, Desmond Tutu, Robert Redford, Shirin Ebadi, Vivienne Westwood, Kris Kristofferson, Danièle Mitterrand, Rage Against the Machine, Pete Seeger, Carlos Santana, Harry Belafonte, le Dalai Lama, le pape François, Mère Teresa, Gloria Steinem, entre 1000 autres ainsi que des organisations telles le Haut-Commissariat des Nations-Unies aux droits de l'homme, Amnesty International, les parlements belges et européens, la National Lawyers Guild, etc., etc. Rien n’y fit.

« Il y a toujours plus toujours une autre version que l’Amérique n’entendra pas »*

Le président Bill Clinton se préparait à le gracier. Aussitôt, une manifestation de 500 agents du FBI devant la Maison Blanche contrecarra cette promesse. Le monde contre 500 flics. Celui qui fut le procureur lors de l’affaire, James H. Reynolds, fut pris de remords et supplia Barack Obama de libérer Leonard Peltier, alors en très mauvaise santé. Même cela n’y fit rien. Alors que le mouvement « Free Leonard Peltier » ne cessa pas, que continuèrent les manifestations devant la Maison Blanche avec un succès très différent de celle de quelques instants des 500 agents, le même procureur James H. Reynolds écrivit à Joe Biden en 2022 : « J’écris aujourd’hui d’une position rare pour un ancien procureur : je vous supplie de commuer la peine d’un homme que j’ai contribué à mettre derrière les barreaux. Avec le temps, et le bénéfice du recul, je me suis rendu compte que les poursuites et l’incarcération continue de Mr Peltier étaient et sont injustes. Nous n’avons pas été en mesure de prouver que Mr Peltier avait personnellement commis un quelconque délit sur la réserve de Pine Ridge. Je vous demande instamment de tracer une voie différente dans l’histoire des relations du gouvernement avec ses Indiens en faisant preuve de clémence plutôt que de continuer à faire preuve d’indifférence. Je vous demande instamment de faire un pas vers la guérison d’une blessure que j’ai contribué à créer ». Les démarches n’auront de cesse contre celles, puissantes, qui urgeaient le président Biden de ne pas céder. Et puis… Le 20 janvier 2025, quelques heures avant la monstrueuse parade de la nouvelle investiture, un communiqué de la Maison Blanche annonçait : « Le Président commue la peine d'emprisonnement à perpétuité prononcée à l'encontre de Leonard Peltier afin qu'il purge le reste de sa peine à domicile. Il est aujourd'hui âgé de 80 ans, souffre de graves problèmes de santé et a passé la majeure partie de sa vie (près d'un demi-siècle) en prison. Cette commutation permettra à M. Peltier de passer le reste de sa peine en détention à domicile, mais ne le graciera pas pour ses crimes. »

« Le sinistre fardeau que les coloniaux ne peuvent justifier par la vérité »*

Sans grâce, donc, Leonard Peltier retrouve cette semi-liberté parce qu’en très mauvaise santé, lot commun d’un peuple confiné sur sa propre terre. Sans grâce, sans classe, si tardivement, et avec ce sentiment d’un épouvantable gâchis, cette clémence embarrassée est pourtant la seule lueur de cette journée du 20 janvier 2025, où ce que l’on appelle les médias ne surent regarder autre chose que l’infecte bouffonnerie des nouveaux maîtres du monde.

« Et notre place dans le rêve américain perdure comme ce passé que tu croyais avoir enterré »*

La presse et la radio française mirent quelques jours à timidement commenter l’événement. Ainsi le 23 janvier, sur France Inter, on pouvait entendre en ouverture d’une séquence d’information de trois minutes : « Avant de quitter la Maison Blanche, Joe Biden a gracié et commué les peines d’une multitude de condamnés. Parmi eux, un certain Leonard Peltier, inconnu chez nous mais aux États-Unis, c’est une icône. Après presque 50 ans de prison, il sort et c’est tout un symbole. ». L’Indien, inconnu ou fantasmé (l’icône) n’a pas d’existence hors d’un imaginaire façonné par le rêve américain. Cette ignorance, ce refus de considérer l’histoire en profondeur nous a conduits à ce sentiment d’effondrement au corps insoutenable de nos jours frêlement vivants. Non Leonard Peltier n’était pas inconnu en France où nombreuses furent les mobilisations pour sa défense (saluons ici l’association Nitassinan), où les anciens ouvriers de l’usine Lip se souviennent qu’une délégation de l’American Indian Mouvement était venue soutenir leur combat (les ouvriers horlogers avaient alors fabriqué une montre à l’heure indienne). Et non, Leonard Peltier n’est pas une icône, comme Missak Manouchian ou Olga Bancich ne sont pas des icônes, Leonard Peltier est un résistant.

Dans un monde sonné par les outrances fascizoïdes, dans le débat ridicule où l’on se cherche des justifications pour perpétuer la communication sous X, la semi-libération de Leonard Peltier est celle d’un peuple occupé. Une porte entrebâillée qui peut être aussi la nôtre, contre l'écrasante mascarade, si nous le voulons. Celle à partir de laquelle nous pouvons encore réellement rêver... ailleurs que dans l’horrible sieste promise.

« NOT IN AMERICA! »*


* Extraits de « Left for Dead » (traduction Francis Falceto)

Tony Hymas - Barney Bush, Left for Dead (nato - 1994) 

 

20.1.25

FREE LEONARD PELTIER ! (STILL)

Quelques minutes avant de céder son siège de président à Donald Trump, Joe Biden a décidé de commuer la peine d'emprisonnement à perpétuité prononcée contre Leonard Peltier en détention à domicile. Demi-mesure sans classe (quart-mesure in extremis) mieux que rien évidemment - étrange sentiment - en ce jour funeste. L'annonce résume : "Il a aujourd’hui 80 ans, souffre de graves problèmes de santé et a passé la majeure partie de sa vie (près d’un demi-siècle) en prison. Cette commutation permettra à M. Peltier de passer le reste de ses jours en détention à domicile, mais ne lui pardonnera pas ses crimes". Nous avons tellement crié "Free Peltier" depuis si longtemps !!!

19.1.25

L'ORIGINE DU JAZZ ROCK SELON L'INTELLIGENCE INTERNET

Avec internet, on obtient toutes sortes d'informations inconnues sans se fatiguer l'intelligence. "De siestes trop longues, on ne se réveille pas" avait dit un penseur grec d'un temps si ancien...