Enfants d'Espagne

Enfants d'Espagne

19.2.12

IN A SENTIMENTAL MOOD
PAR STÉPHANE CATTANEO
BENOÎT DELBECQ CRESCENDO IN DUKE

1ère À SONS D'HIVER
AMARCO

In a sentimental mood
par Stéphane Cattaneo

437 kilomètres.
C’est la distance que j’aurai parcouru cette fois pour assister à un concert, en l’occurrence celui que Benoît Delbecq donnait à Ivry-sur-Seine jeudi 16 février dans le cadre du festival Sons d’hiver.
437 kilomètres vers l’est, sur des petites routes au bord desquelles le redoux faisait s’affaisser des bonhommes de neige crasseux et où les oiseaux morts se comptaient par dizaines. La dernière fois que j’avais vu Benoît c’était à 6500 km de chez moi, aux USA, moyennant quoi je considérais que du strict point de vue de la distance j’étais en progrès ; pour ce qui concernait ma mélancolie par contre, rien n’avait changé : ma vie était toujours un lent et doux naufrage sentimental, avec en fond sonore des chansons folk américaines.
Cependant, j’étais plutôt décidé à remettre la résolution de mes problèmes de spleen à plus tard, pour m’imprégner de la musique que j’allais écouter ce soir et vivre à travers elle l’expérience de l’amour sans limite. Aussi, le cœur gonflé d’une folle espérance (celle d’être happé par le tourbillon de l’attraction universelle), je gravis les marches du théâtre Antoine Vitez quatre à quatre sitôt ma bagnole garée et me glissai dans la pénombre de la salle de spectacle, sur un siège à côté duquel je tentai de consoler par ma seule présence une femme à l’air triste.
Le trio Amarco (Vincent Courtois, Guilluame Roy, Claude Tchamitchian) fit merveille, en jouant deux longues pièces d’une musique dont les quelques accès de brutalité eurent pour effet de contaminer, par l’utilisation de formes abstraites radicales, d’autres moments de leur prestation, en suspension, révélant par l’effet de contraste qui en résultait toute l’atmosphère bluesy d’une Asie centrale réinventée.
Magique.
Après quoi, il fut temps de descendre au bar pour aller s’en jeter un derrière la cravate, ce qui fut fait promptement, et remonter fissa voir la première prestation en live du Benoît Delbecq Sextet.
J’avais eu la chance de voir le pianiste au Black Dog Café de Saint-Paul, Minnesota, quelques semaines auparavant, lors d’un concert intense de trois sets en solo, en duo avec Nathan Hanson ou en quartet avec le trio Merciless Ghost et j’étais d’autant plus impatient d’assister à son nouveau spectacle que j’avais de surcroît pu assister au mixage de plusieurs titres dans un studio de Minneapolis et les écouter quelques heures plus tard en sa compagnie, celle de Jean Rochard et nos amis David Rich et Paulette Myers-Rich dans l’atelier d’artiste de ces derniers : l’intensité qui s’en dégageait m’avait impressionné et follement excité.
Si bien que j’applaudis chaleureusement l’entrée en scène des musiciens du groupe version européenne.
N’ayant eu que peu de temps pour répéter (pas évident de réunir deux Anglais, un Américain, et trois Français), on peut affirmer qu’ils interprétèrent les morceaux de la première partie de leur set à merveille, notamment « Portrait of Mahalia Jackson » qui exige une grande concentration et une grande écoute de chacun des intervenants envers les autres pour maintenir en équilibre son harmonie flottante.
Ensuite, fort de cette réussite, quand les partitions de Benoît commencèrent à voler en tous sens et que se desserra l’étreinte d’une écriture millimétrée (« Goutelas Suite »), le groupe nous entraîna dans le sillage d’une « Tina » libérée et d’un « Diminuendo and Crescendo in blue » où il m’apparut que, Steve et les Tony faisant le métier, Jean-Jacques Avenel était simplement impérial, et Antonin-Tri Hoang un souffleur culotté, improvisant des phrases hachées et comme à moitié terminées, évoquant dans son jeu d'alto l’image d’un albatros aux ailes trop grandes pour voler.
J’étais aux anges.
Et quand au rappel nos camarades nous offrirent une formidable version de « In a sentimental mood », je dus bondir de mon siège avant qu’on rallume les lumières pour aller me cacher et pleurer.
C’est ça qui est moche avec la musique, quand elle nous touche profondément : on ne peut plus s’en passer.
Le disque Crescendo in Duke sort le 27 février, et je crois bien qu’il va cartonner.

À lire sur le blog de Sons d'Hiver, le point de vue de Michel Edelin


Image : Cattaneo : "A love supreme" (février 2012)

2 commentaires:

Fabir a dit…

Comme on dit sur Face Book : J'aime

Samuel a dit…

N'ayant pu venir à ce concert qui n'était pas sur Arte, j'attends avec impatience la sortie du disque. Ellington a été très généreux avec sa musique et je suis toujours curieux de voir comment celle-ci est comprise par les jeunes musiciens.