Barney Bush, poète et activiste, interviewé par Emmanuel Pedler
Le cinéaste Abraham Polonsky, réalisateur du film Willie Boy en 1969, un des tout premiers films à montrer un Indien (Amérindien) contemporain, ouvrait alors ainsi un entretien avec la revue Positif : "Il y a le mythe de l'Ouest ; pour les Américains, c'est le Paradis perdu, pour les indiens c'est le génocide. Dès qu'un Américain accepte l'idée que ce Paradis perdu n'a été que le massacre des Indiens, le mythe commence à disparaître et il peut commencer à voir l'Ouest tel qu'il était : la Conquête d'un pays par des étrangers qui ont pris tout ce qu'ils ont trouvé et qui n'ont même pas laissé leur identité aux habitants des lieux".
Cette idée exprime bien cette réflexion en mouvement qui s'opère parfois chez les descendants des colons. Néanmoins, la place de l'Indien préoccupe une minorité d'Américains (par Américains on pourrait entendre non seulement les habitants de l'Amérique, mais aussi tous les habitants du rêve américain qui a saisi toute la planète).
La culture américaine est grandement une culture qui s'est constituée par l'oubli d'une réalité inadmissible. Plus on oublie sa culture d'origine, plus on est américain. Il y a schématiquement dans cette culture deux mondes : l'Amérique (seul pays - comme le notait Jean-Luc Godard dans le film Éloge de l'Amour - qui n'a pas de nom propre, le Brésil, le Canada, le Mexique sont aussi des Etats-Unis d'Amérique) et l'autre monde figuré par l'Autre (la fascination de l'Amérique pour le danger des invasions extra-terrestres est révélatrice). Les huit années de l'administration Bush ont montré de façon très violente cette vision en la poussant jusqu'à son appauvrissement manifeste. Mais ces huit années ne sont ni un accident, ni une tragique parenthèse, elle sont le peak auto-alarmant d'une constante. Barack Obama, 44ème président des Etats-Unis d'Amérique (USA), affiche une image de changement, de meilleure considération de l'Autre. Il a été paradoxalement élu aussi car à force de marquer l'Autre, l'Amérique en a perdu la face - face qu'elle s'était donné tant de mal conquérant à façonner. Lors de son investiture, il s'est empressé de clamer la nécessité de reprendre le "leadership" perdu et a assuré les Américains qu'il ne fallait pas "avoir honte de leur façon de vivre" (American Way of Life). Le jeune président glorifiait au passage la mythique conquête de l'Ouest.
L'autre, dans la Culture américaine, c'est l'Indien. C'est le Dernier des Mohicans de Fenimore Cooper (qui "invente" complètement cette tribu à partir de vagues références aux Mohegans ou aux Mahicans) ou Comata le Sioux du cinéaste D.W. Griffith, auteur de Naissance d'une Nation, fresque de propagande où la fabrication des images s'impose comme seule réalité.
L'Indien (l'Autre) est l'image même de l'entrave au progrès, il est ainsi dans la littérature et encore davantage dans le cinéma hollywoodien, grand acte fondateur de la représentation de l'Amérique telle qu'elle se pense (le mythe) et non telle qu'elle est (l'aboutissement du délire européen). L'Indien est au mieux un noble sauvage qu'il est tout de même nécessaire de déplacer - cette image évolue jusqu'à le montrer comme victime d'une société qui cherche sa conscience (Little Big Man d'Arthur Penn), au pire, il est une brute sauvage et violente sans réflexion. Dans le western à volonté humaniste de Kevin Costner, Danse avec les Loups, le réalisateur prend parti pour le malheur des Lakotas (aussi appelés Sioux par les trappeurs français), mais ne peut s'empêcher de peindre de façon grotesque la tribu des Pawnees - présentée comme ennemie - en les décrivant avec luxe de détails comme des animaux impitoyables. En voulant se démarquer, Costner crée une nouvelle image négative de l'Indien dans l'Indien. Il sépare comme les missionnaires ont pu le faire. La fin du film implique qu'une tribu se sacrifie pour protéger le déserteur de l'armée américaine.
Si l'histoire de la Commune de Paris a été longtemps écrite par les Versaillais, celle des Indiens d'Amérique a été fabriquée, figurée, pourrait-on dire, par les colons américains. L'expression des différents peuples autochtones par eux-mêmes pour l'extérieur, s'est longtemps faite attendre. C'est vraiment dans les années soixante, lieu de bouleversements et d'excitations rapides, qu'une autre image de l'Amérique s'est superposée à celle de la culture de l'oubli (la bien nommée Contre Culture) et que l'on voit enfin émerger artistes et penseurs indiens pouvant enfin s'adresser au Monde.
Ce n'est certainement pas un hasard si c'est une Indienne cree, Buffy St Marie, qui compose la chanson "Universal Soldier" - l'un des hymnes de l'Amérique contestataire. Le criminel n'y est pas seulement le simple soldat qui appuie sur la gâchette, ni même le général donneur d'ordre, ni même le Président donneur d'ordre au donneur d'ordre, mais ceux qui ont contribué par des voies dites démocratiques à l'instauration de ce système. La question de la responsabilité collective et individuelle anéantit la notion de l'Autre désigné.
La Contre Culture se cherche de la mémoire et du futur et lorsqu'elle prend le pas comme parole d'Amérique vers l'extérieur, arrive l'Indien, grand oublié de l'intérieur. L'Indien est alors nécessité. Dans le film de Milos Forman, Vol au dessus d'un nid de Coucou, si la star est Jack Nicholson, le personnage clé est joué par l'acteur Creek Will Sampson qui incarne la possibilité de quitter l'infernal rêve américain, le besoin de l'autre est total. C'est aussi le moment où s'organise une nouvelle résistance indienne politique et active à partir de la ville de Minneapolis, avec la constitution de l'American Indian Movement en 1968, résistance qui culmine médiatiquement avec l'occupation de Wounded Knee en 1973. Le site de Wounded Knee fut le théâtre de la, trop longtemps appelée par l'histoire officielle, bataille de Wounded Knee ; en réalité démontrée : bel et bien un massacre d'innocents fatigués et désarmés. Il n'y a quasiment pas de représentation de l'Indien entre 1890 et les années 60 car la question indienne ne saurait être montrée en suspens, elle est officiellement réglée et appartient au passé. On ne verra donc pas d'Indiens de 1900 ou de 1930, ou de 1950 représentés par la culture populaire. L'Indien est alors au mieux considéré comme artisan stérile de sa tradition. Avec l'American Indian Movement, avec les nouveaux artistes indiens, avec l'avocat Lakota Vine Deloria dont les écrits auront une influence considérable (Custer est mort pour vos péchés - alors curieusement et fantasmatiquement publié en France sous le titre de Peau Rouge, l'Indien prend sa place dans le monde contemporain. La musique, la littérature, la peinture et le cinéma vont devenir des armes importantes de cette affirmation.
La cinéaste abénaquis (tribu du Canada), Alanis Obomsawin, résume bien les motivations de cette nécessité d'expression pour sortir du cadre infernal : « Je n'arrêterai pas de visiter les prisons, les quartiers de clochards, où l'on retrouve un fort pourcentage des nôtres. On voit des gens boire, dormir sur les trottoirs, se faire maltraiter, on entend une langue épouvantable. C'est la fosse aux serpents. Mais je ne peux pas me séparer d'eux. Il était un temps où l'on me disait que c'était ma place. Je me suis battue, et je me suis battue. Voilà pourquoi je comprends et j'aime tous ces gens qui sont là. Ils ne sont pas séparés de moi. […] Il y a beaucoup de gens qui, d'une façon ou d'une autre, ont réussi à être forts et à faire quelque chose. Je ne veux pas dire par là que les gens qui sont dans la rue sont faibles. Jusqu'à quel point quelqu'un peut-il en prendre et jusqu'où peut-il aller avant de finir par croire ce qu'ils vous disent : que vous n'êtes bon à rien, […] que vous n'avez pas de culture, que vous n'avez pas d'affaire là. Vous voyez vos parents qui boivent, qui sont dans un état déplorable. Puis vous vous regardez dans le miroir, et vous n'aimez pas ce qu'il renvoie, alors vous finissez par vous en prendre aux vôtres, […] et il m'a fallu de très longues années pour comprendre ça. ».
Il n'est plus question de reproduire un passé figé, ni d'entretenir une imagerie de fantasmes (endroit où l'on se plaît à voir l'Indien comme solution à nos propres problèmes). Le premier habitant de l'Amérique est un être vivant (c'est d'ailleurs le plus souvent la traduction des dénominations de leurs différentes tribus) qui cherche sa place digne dans le monde actuel. L'expression contemporaine d'artistes indiens contemporains, même et surtout parce que reliés à des valeurs traditionnelles vivantes et en mouvement, cherche à aider à trouver sa place en partageant ce qui était considéré longtemps comme invisible. L'écrivain blackfeet James Welch a dit espérer que ses livres "aident à éduquer les gens qui ne comprennent pas comment et pourquoi les Indiens se sentent souvent perdus".
Elle peut aussi et surtout faire reculer la peur de l'Autre dans un monde qui refuse encore trop souvent sa propre histoire. En regardant l'Autre, on finit par se voir réellement.
Notes du 28 mars 2009 en préparation du débat à Canal 93 (Bobigny) avant la projection de l'émission consacrée à Barney Bush interviewé par le sociologue Emmanuel Pedler (notre photo) précédant le concert de Pura Fé.
Cette idée exprime bien cette réflexion en mouvement qui s'opère parfois chez les descendants des colons. Néanmoins, la place de l'Indien préoccupe une minorité d'Américains (par Américains on pourrait entendre non seulement les habitants de l'Amérique, mais aussi tous les habitants du rêve américain qui a saisi toute la planète).
La culture américaine est grandement une culture qui s'est constituée par l'oubli d'une réalité inadmissible. Plus on oublie sa culture d'origine, plus on est américain. Il y a schématiquement dans cette culture deux mondes : l'Amérique (seul pays - comme le notait Jean-Luc Godard dans le film Éloge de l'Amour - qui n'a pas de nom propre, le Brésil, le Canada, le Mexique sont aussi des Etats-Unis d'Amérique) et l'autre monde figuré par l'Autre (la fascination de l'Amérique pour le danger des invasions extra-terrestres est révélatrice). Les huit années de l'administration Bush ont montré de façon très violente cette vision en la poussant jusqu'à son appauvrissement manifeste. Mais ces huit années ne sont ni un accident, ni une tragique parenthèse, elle sont le peak auto-alarmant d'une constante. Barack Obama, 44ème président des Etats-Unis d'Amérique (USA), affiche une image de changement, de meilleure considération de l'Autre. Il a été paradoxalement élu aussi car à force de marquer l'Autre, l'Amérique en a perdu la face - face qu'elle s'était donné tant de mal conquérant à façonner. Lors de son investiture, il s'est empressé de clamer la nécessité de reprendre le "leadership" perdu et a assuré les Américains qu'il ne fallait pas "avoir honte de leur façon de vivre" (American Way of Life). Le jeune président glorifiait au passage la mythique conquête de l'Ouest.
L'autre, dans la Culture américaine, c'est l'Indien. C'est le Dernier des Mohicans de Fenimore Cooper (qui "invente" complètement cette tribu à partir de vagues références aux Mohegans ou aux Mahicans) ou Comata le Sioux du cinéaste D.W. Griffith, auteur de Naissance d'une Nation, fresque de propagande où la fabrication des images s'impose comme seule réalité.
L'Indien (l'Autre) est l'image même de l'entrave au progrès, il est ainsi dans la littérature et encore davantage dans le cinéma hollywoodien, grand acte fondateur de la représentation de l'Amérique telle qu'elle se pense (le mythe) et non telle qu'elle est (l'aboutissement du délire européen). L'Indien est au mieux un noble sauvage qu'il est tout de même nécessaire de déplacer - cette image évolue jusqu'à le montrer comme victime d'une société qui cherche sa conscience (Little Big Man d'Arthur Penn), au pire, il est une brute sauvage et violente sans réflexion. Dans le western à volonté humaniste de Kevin Costner, Danse avec les Loups, le réalisateur prend parti pour le malheur des Lakotas (aussi appelés Sioux par les trappeurs français), mais ne peut s'empêcher de peindre de façon grotesque la tribu des Pawnees - présentée comme ennemie - en les décrivant avec luxe de détails comme des animaux impitoyables. En voulant se démarquer, Costner crée une nouvelle image négative de l'Indien dans l'Indien. Il sépare comme les missionnaires ont pu le faire. La fin du film implique qu'une tribu se sacrifie pour protéger le déserteur de l'armée américaine.
Si l'histoire de la Commune de Paris a été longtemps écrite par les Versaillais, celle des Indiens d'Amérique a été fabriquée, figurée, pourrait-on dire, par les colons américains. L'expression des différents peuples autochtones par eux-mêmes pour l'extérieur, s'est longtemps faite attendre. C'est vraiment dans les années soixante, lieu de bouleversements et d'excitations rapides, qu'une autre image de l'Amérique s'est superposée à celle de la culture de l'oubli (la bien nommée Contre Culture) et que l'on voit enfin émerger artistes et penseurs indiens pouvant enfin s'adresser au Monde.
Ce n'est certainement pas un hasard si c'est une Indienne cree, Buffy St Marie, qui compose la chanson "Universal Soldier" - l'un des hymnes de l'Amérique contestataire. Le criminel n'y est pas seulement le simple soldat qui appuie sur la gâchette, ni même le général donneur d'ordre, ni même le Président donneur d'ordre au donneur d'ordre, mais ceux qui ont contribué par des voies dites démocratiques à l'instauration de ce système. La question de la responsabilité collective et individuelle anéantit la notion de l'Autre désigné.
La Contre Culture se cherche de la mémoire et du futur et lorsqu'elle prend le pas comme parole d'Amérique vers l'extérieur, arrive l'Indien, grand oublié de l'intérieur. L'Indien est alors nécessité. Dans le film de Milos Forman, Vol au dessus d'un nid de Coucou, si la star est Jack Nicholson, le personnage clé est joué par l'acteur Creek Will Sampson qui incarne la possibilité de quitter l'infernal rêve américain, le besoin de l'autre est total. C'est aussi le moment où s'organise une nouvelle résistance indienne politique et active à partir de la ville de Minneapolis, avec la constitution de l'American Indian Movement en 1968, résistance qui culmine médiatiquement avec l'occupation de Wounded Knee en 1973. Le site de Wounded Knee fut le théâtre de la, trop longtemps appelée par l'histoire officielle, bataille de Wounded Knee ; en réalité démontrée : bel et bien un massacre d'innocents fatigués et désarmés. Il n'y a quasiment pas de représentation de l'Indien entre 1890 et les années 60 car la question indienne ne saurait être montrée en suspens, elle est officiellement réglée et appartient au passé. On ne verra donc pas d'Indiens de 1900 ou de 1930, ou de 1950 représentés par la culture populaire. L'Indien est alors au mieux considéré comme artisan stérile de sa tradition. Avec l'American Indian Movement, avec les nouveaux artistes indiens, avec l'avocat Lakota Vine Deloria dont les écrits auront une influence considérable (Custer est mort pour vos péchés - alors curieusement et fantasmatiquement publié en France sous le titre de Peau Rouge, l'Indien prend sa place dans le monde contemporain. La musique, la littérature, la peinture et le cinéma vont devenir des armes importantes de cette affirmation.
La cinéaste abénaquis (tribu du Canada), Alanis Obomsawin, résume bien les motivations de cette nécessité d'expression pour sortir du cadre infernal : « Je n'arrêterai pas de visiter les prisons, les quartiers de clochards, où l'on retrouve un fort pourcentage des nôtres. On voit des gens boire, dormir sur les trottoirs, se faire maltraiter, on entend une langue épouvantable. C'est la fosse aux serpents. Mais je ne peux pas me séparer d'eux. Il était un temps où l'on me disait que c'était ma place. Je me suis battue, et je me suis battue. Voilà pourquoi je comprends et j'aime tous ces gens qui sont là. Ils ne sont pas séparés de moi. […] Il y a beaucoup de gens qui, d'une façon ou d'une autre, ont réussi à être forts et à faire quelque chose. Je ne veux pas dire par là que les gens qui sont dans la rue sont faibles. Jusqu'à quel point quelqu'un peut-il en prendre et jusqu'où peut-il aller avant de finir par croire ce qu'ils vous disent : que vous n'êtes bon à rien, […] que vous n'avez pas de culture, que vous n'avez pas d'affaire là. Vous voyez vos parents qui boivent, qui sont dans un état déplorable. Puis vous vous regardez dans le miroir, et vous n'aimez pas ce qu'il renvoie, alors vous finissez par vous en prendre aux vôtres, […] et il m'a fallu de très longues années pour comprendre ça. ».
Il n'est plus question de reproduire un passé figé, ni d'entretenir une imagerie de fantasmes (endroit où l'on se plaît à voir l'Indien comme solution à nos propres problèmes). Le premier habitant de l'Amérique est un être vivant (c'est d'ailleurs le plus souvent la traduction des dénominations de leurs différentes tribus) qui cherche sa place digne dans le monde actuel. L'expression contemporaine d'artistes indiens contemporains, même et surtout parce que reliés à des valeurs traditionnelles vivantes et en mouvement, cherche à aider à trouver sa place en partageant ce qui était considéré longtemps comme invisible. L'écrivain blackfeet James Welch a dit espérer que ses livres "aident à éduquer les gens qui ne comprennent pas comment et pourquoi les Indiens se sentent souvent perdus".
Elle peut aussi et surtout faire reculer la peur de l'Autre dans un monde qui refuse encore trop souvent sa propre histoire. En regardant l'Autre, on finit par se voir réellement.
Notes du 28 mars 2009 en préparation du débat à Canal 93 (Bobigny) avant la projection de l'émission consacrée à Barney Bush interviewé par le sociologue Emmanuel Pedler (notre photo) précédant le concert de Pura Fé.
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