Enfants d'Espagne

Enfants d'Espagne

21.3.09

TRANSATLANTIC CITIES
... (Les aventures de Didier Petit en Amérique -3-)



Et si le violoncelliste Didier Petit avait trouvé la réponse à la fameuse énigme de la fuite du temps en rétablissant la bonne vitesse de vivre à belle allure ? Entretien sur ses aventures américaines !


Jean Rochard
Impressions de ton petit marathon à Minnesota sur Seine en Mai 2008 ?

Didier Petit
En mai, fais ce qu'il te plaît et pourquoi pas un marathon !! Je débarque de l'avion à Minneapolis/St Paul un soir de mai. Pratiquement tout de suite, après une brève escale à l'hôtel, je me retrouve dans un musée à St Paul avec un son de caverne. Deux groupes se succèdent : celui de Dominique Pifarély avec Tim Berne et le deuxième François Corneloup "Next". Le groupe qui se balade partout en ce moment et c'est bien. Le ton est donné, ça dépote grave comme on dit, les deux groupes sont ultra dynamiques. Je me dis alors dans ma "Ford" intérieure qu'il va falloir que je me mette en condition pour le lendemain et la tension monte, en plus c'est ma fête, je veux dire le 23 mai, c'est le jour de ma fête. Je dors mal la première nuit entre le jetlag et la tension. En plus, je ne connais pas les musiciens que je vais rencontrer sauf Nathan Hanson avec qui j'ai eu quelques contacts par mail. Ce matin du 24 mai, il est 13 heures. Je retrouve Gary Schulte au Lowertown Music Crawl. Je me retrouve en face d'un homme plutôt introverti au visage plutôt serein. Nous faisons quelques sons mais pas trop pour rester dans un sentiment de "je ne sais quoi". Le public entre doucement. Il faut commencer. La musique de Gary Schulte est comme l'homme, intérieure et sereine. Son écoute est simple et rapide, nous trouvons assez vite ce qui nous réunit et j'ai le sentiment d'un moment de vraie rencontre, un son direct sans complication et très présent. Le temps de m'en rendre compte et c'est fini. Je cours alors à la rencontre de Carnage au Black Dog café... Il est très fort ce Carnage. Ca part à toute vitesse. Nous n'avons pas vraiment eu le temps de faire le son. Carnage est un hip-hopeur qui travaille avec des boucles qu'il fait lui-même. Il est amplifié alors que je suis acoustique et nous luttons chacun pour trouver la place juste, il est de ce fait obligé de faire attention à ne pas être trop fort et je dois appuyer pour atteindre son son. Quelques moments forts nous trouvent justes, d'autres se cherchent. Le temps fut trop court à mon goût pour se trouver complètement. Cela me laisse sur un sentiment de trop peu! Je n'ai hélas pas le temps de m'assoupir sur cette pensée et me retrouve avec le trio NBA. Saxophone, batterie, contrebasse. AAAHhhh, je suis en terrain un peu plus connu. Je glisse avec Brian (Roessler) le contrebassiste, je m'infiltre dans le son du saxophone de (Nathan Hanson), je bataille avec la batterie de Alden Akeida). Je suis un peu à la maison et c'est tellement agréable de se retrouver dans un groupe. Fini les duels pour cette journée. Un son d'ensemble ensemble. À demain!
Cette nuit-là je dors mieux et me sens en pleine forme pour cette nouvelle journée où je vais rencontrer deux sacrés lascars de la seine de Minneapolis. Milo Fine, pianiste, clarinettiste, percussionniste. Ce garçon est tout en tension, il va falloir que je fasse attention à moi-même car quand cela commence à l'énergie, je m'emballe et ne peux me contenir.... Trop tard, encore raté !!! Il va vite, je vais vite, on prend la grande avenue et il cogne sur son piano comme un fou, je m'épuise mais à un moment, mon adrénaline prend le dessus et j'y suis. Sa pensée musicale est constante, foisonnante et directe. Cela me laisse la place pour tourner autour comme un Indien qui danse autour du feu. Il est le feu je suis l'Indien. Cela s'arrête lorsqu'il n'y a plus de carburant ! Le temps de remballer mon violoncelle et en fumant une cigarette, je marche tranquillement à la rencontre de Douglas Ewart. Je suis intimidé par ce Monsieur et pourtant je me sens bien, toutes ces rencontres forment un tout et cette dernière me remplit de toutes les musiques et rencontres que j'ai faites durant ces deux jours. Avec Douglas, nous passons allègrement de la musique afro-américaine à la matière sonore brute à une sorte de musique traditionnelle. C'est comme si j'avais toujours fait ça! D'ailleurs, je crois que c'est toujours ce que j'ai fait. des rencontres pour la musique. La musique est le lien, la musique est le lieu !



JR
Pourquoi venir à Minneapolis pour faire un disque solo ?

DP
J'en ai rêvé et comme je suis toujours mes rêve, je l'ai fait !
Et puis, comme je l'écrivais : "les trois premières faces furent enregistrées dans les Pyrénées. Les 3 dernières vont être enregistrées à Minneapolis - Minnesota". Pourquoi ? La déterritorialisation amène une certaine liberté d’esprit et une distance indispensable à des réalisations qui nous transforment.

JR
Quel besoin pour un musicien français de venir jouer aux USA, lorsque le rêve des musiciens américains est de venir jouer en France (et ce particulièrement en ce moment où la récession frappe violemment ce pays) ?

DP
Pour moi la récession a commencé en 74 quand le gouvernement d'alors a décrété que le chômage n'était plus une donnée sociale mais une donnée économique. Monsieur Raymond Barre disait alors, je cite : "la France peut se payer 250 000 chômeurs". J'avais 12 ans et tous les jours j'entendais "c'est la crise". Pour moi, cela a toujours été la crise, on n'en est jamais sorti. Je ne viens pas d'une classe sociale aisée. Il n'y avait pas d'argent à la maison. Donc pour moi, la crise a toujours été, j'ai donc tiré un trait dessus et je fais ce que j'ai à faire quoi qu'il arrive.
Ce qui m'intéresse ce sont les gens, comment ils sont, comment ils vivent, comment ils jouent. Et aller en Amérique, c'est apprendre comment la musique se pense et se fabrique là-bas. Je ne parle évidemment pas de la musique institutionnelle. Je parle de celle de tous les jours. J'ai entendu bien des choses sur la musique en Amérique. Mais la différence maintenant, c'est ce que je sais pour l'avoir vécu. Je peux confirmer. Ils sont vraiment dans la merde et on est encore pour le moment ultra privilégiés en France. Ce qui ne veut pas dire qu'il faut baisser les bras. Par ailleurs, j'ai rencontré là-bas des gens extrêmement généreux. Je comprends très bien pourquoi les musiciens américains rêvent de venir jouer en France. Si j'étais à leur place, j'en aurais aussi le désir.
Leur problème à mon sens est qu'ils sont très combattifs mais pas assez ensemble. Notre problème à nous, c'est qu'on a oublié d'être simple là où il faut être simple.

JR
Comment as-tu monté ta tournée ? Que s'y est-il passé ?

DP
J'ai monté ces rencontres par mail en contactant directement des musiciens que j'ai trouvés en me renseignant à droite à gauche. Comme j'allais enregistrer à la fin du mois chez Steve Wiese, je m'étais dit que je voulais prendre un temps dans le pays et rencontrer des gens. La situation est vraiment difficile économiquement, mais monter un concert est plutôt simple car la majorité des concerts sont payés au chapeau (là où ils gagnent le plus d'argent avec la musique, c'est quand ils jouent (pour ceux qui acceptent) pour la messe du dimanche). En plus, beaucoup de musiciens à l'inverse d'ici ont un lieu (bar, restau, club) où ils se produisent chaque semaine. Aussi n'est-il pas trop compliqué d'inviter quelqu'un de passage à rejoindre le groupe si le désir existe. Je pense qu'il y a autant de bars que d'églises dans ce pays. Rien ne se décide une année à l'avance. C'est plutôt quinze jours à l'avance. J'ai pris des contacts et les choses ce sont formalisées dans les derniers instants. Je ne suis passé par aucune institution du type Alliance Française ou Culture France car je n'avais pas d'autres projets que de rencontrer les musiciens, de me promener et de vivre comme ils vivent. J'ai ainsi rencontré le vibraphoniste et percussionniste Ian Ash à Philadelphie. Je lui avais envoyé un mail puis un disque. Il a été touché par la musique et m'a dit qu'il allait trouver un endroit pour jouer. Je suis arrivé chez lui un vendredi, nous avons joué une petite heure puis nous sommes partis dans un club. Le patron organisait un mini-festival d'impro dans une petite salle qui pouvait accueillir peut-être une trentaine de personnes. Trois groupes ce soir-là. Tous payés au chapeau. Chaque groupe a droit à 30 minutes. Ian Ash a un jeu incisif, il n'est pas contre l'emballement et sait ne pas faire de politesse ce qui est une qualité dans l'improvisation. Cette rencontre fut courte mais c'est le jeu. C'est un problème dans la vie d'aujourd'hui, la musique a besoin de temps mais nous n'avons plus le temps! J'ai dormi chez Ian. Il a 2 enfants et vit dans une maison en banlieue. Je pars à Chicago le lendemain en avion car c'est assez loin. Je vais chez mon ami Alain Drouot, rencontré à la première édition de Minnesota sur Seine. Il vit à Evanston à côté de Chicago depuis 16 ans. Il va m'héberger durant 4 jours avant que je ne parte pour St Paul/Minneapolis. Grâce à lui, je rencontre le trio de Jim Baker qui habituellement est un quartet mais le contrebassiste n'est pas là. Je saute sur l'occasion. Ils jouent tous les mardi à Chicago au Hotti Biscotti. Il y a là Mars Williams au saxophone, Steve Hunt à la batterie en plus de Jim Baker au piano et sons électro 70. Un pur régal. Je m'insère tranquillement dans un groupe qui est dans l'improvisation depuis tellement longtemps que la musique coule à flot avec une simplicité et une vivacité sans nom. Je prends tout le plaisir qu'il y a à prendre et ce moment restera dans ma mémoire. Le jeudi, j'ai rendez-vous à l'Elastic (un club assez renommé dans la musique à Chicago. Pas du tout la même ambiance). Là où le Hotti Biscotti est un bar assez sombre dans un quartier excentré, ici, c'est un endroit plus centré et plus clean. Le club est au premier étage et paraît assez neuf car ils ont déménagé il n'y a pas longtemps. Le mur est orange et ça sent encore la peinture. Je joue avec une formation créée pour l'occasion par le batteur Mike Reed. Il fait partie de la nouvelle génération de la scène de Chicago et est très dynamique dans le coin. (Alexandre Pierrepont, dit "Le professeur", m'avait donné ses coordonnées à Paris). Il y a donc présent, en plus de Mike Reed, Jason Stein à la clarinette basse et Nick Butcher à l'électronique. La salle n'est acoustiquement pas facile, mais nous avons décidé de ne pas nous amplifier. Nous trouvons peu à peu nos marques. Mike n'est pas du genre à cogner et le rapport avec Nick qui utilise un tas de petits objets mécaniques sonores qu'il réinjecte ensuite dans un ampli, organise une sorte de rythmique qui nous laisse beaucoup de place à Jason et moi. Le lendemain, je pars pour Minneapolis/St Paul. Il était prévu initialement que je passe à Champaign mais cela n'a pas pu se faire. Je prends le bus car ce n'est pas trop loin (6 heures), ce n'est pas cher et cela me permet de voir le pays autrement. Un bus bourré d'étudiantes qui vont à l'université de Minneapolis. Ambiance : tout le monde a des écouteurs sur les oreilles. Décidément, nous vivons un drôle de temps. Le contrebassiste Brian Roessler m'attend à l'arrêt. On papote dans la voiture le temps qu'on arrive chez lui. Nathan Hanson doit venir me chercher car je vais habiter chez lui. Je demande à Brian si il sait quand est le premier concert car tout est un peu confus dans ma tête. Il me répond, c'est ce soir, au Black Dog avec la chanteuse anglaise Viv Corringham qui habite maintenant à Rochester (Minnesota). Et Nathan sera là aussi. Il devait y avoir également Evan Parker à l'origine car il devait par ailleurs jouer dans un Festival électronique et donc être là. Mais finalement, il n'a pas pu venir. Le soir arrive assez vite. Je retrouve Viv et le temps de nous installer nous voilà partis. Elle démarre comme un boulet de canon. Moi qui suis encore dans le ronronnement du bus, je dois immédiatement me mettre au diapason. Plutôt que de faire un duo avec Viv puis un autre avec Nathan, nous décidons de varier les plaisirs et de faire un duo puis un solo, puis un trio, puis encore un duo etc.. Sans oublier le bruit de la machine à moudre le café qui vient s'insérer assez régulièrement dans les improvisations. C'est une soirée assez joyeuse. Le Black Dog est un endroit très convivial. J'y reviendrai le dimanche puis le vendredi pour jouer avec les Fantastic Merlins qui y ont une soirée chaque semaine. Entre temps, j'aurais fait un concert le lundi avec ces mêmes Fantastic Merlins, au Clown Lounge qui est le lieu du trio "Fat Kid Wednesdays". Toutes ces imprégnations me mettent dans un état profond qui va me servir après durant l'enregistrement de mon nouvel opus durant ces 4 jours de studio avec toi, Steve et Théo. J'y trouve d'autres points de force, cet état d'entre les choses et de lien qui m'est indispensable dans la musique. Cet état qui évite les barrières, qui s'inscrit dans la multiplicité et l'échange. Cet état qui paradoxalement me recentre.

JR
Le final avec le trio de violoncelles ?

DP
Ce qui est intéressant dans ce trio, c'est toute la différence culturelle entre les conceptions européennes et américaines. La musique américaine est très discursive. Et les musiciens européens, même si ils s'y attèlent, sont plutôt liés à l'orchestration. L'intérêt de ce trio est que du fait que nous sommes trois violoncelles, la conception européenne se trouve dans ce fait là, mais Michelle et Jacqueline sont fondamentalement des solistes, il faut donc s'organiser avec ces deux éléments. Jouer avec d'autres violoncellistes n'est jamais facile. D'une part à cause de la consanguinité (j'ai toujours préféré la batardisation) mais aussi parce que c'est tout de suite joli et qu'il faut se battre pour inventer. Cela dit avec ces deux-là, il y a intérêt à être de plein pied car elle possède une présence plutôt forte. Nous avons navigué debout. Assis. Joutant avec les archets posant des jalons rythmiques pour que chacun puisse pleinement s'exprimer. Ce concert qui eut lieu à la fin des 4 jours d'enregistrement dans le studio, joyeuse clôture pour ces 15 jours. Je reviens en février 2010, c'est certain !


Conversation du 16 mars 2009

Sortie du nouveau disque solo de Didier Petit chez Buda en septembre

Photos et films : B. Zon
Couverture : Hergé / Z. Ulma

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Ben dis donc ! Minneapolis est devenu le refuge des musiciens français. Attention aux fuites de capitaux.